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Kikk 2025 ©DR

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À quoi bon? Why Bother? Le titre de l’intervention de Robert Hodgin est la seule vraie question que pose l’IA aux créateurices et aux créatif∙ves. «Cette conférence parle de ce qui se passe quand le travail autour duquel nous avons construit notre vie devient soudainement sans effort, infini et automatisé. Ce n’est pas un rejet du potentiel créatif de l’IA. C’est une tentative de comprendre où se situe notre valeur créative lorsque les machines peuvent tout générer instantanément».

Le travail de Hodgin, fondateur et responsable de la Recherche et Développement du Studio Rare Volume explore des mondes qui entrelacent beauté et fonctionnalité, et requièrent une combinaison d’infinie patience, d’inspiration très poétique et de technologie pointue. Que ce soit en recréant les nuages d’étourneaux ou les bancs de poissons, la visualisation de l’histoire des méandres de rivières, ou la modélisation minutieuse de l’appartement dans lequel il vécut le lockdown du COVID (jusqu’aux traces d’humidité sur les murs, c’est vous dire si l’homme est sévèrement atteint), Hodgin met son savoir-faire et son imagination au service de projets visuellement époustouflants et techniquement très exigeants. L’exploration de ses sites vaut le détour, pour se perdre dans un univers magique et fascinant. On le voit, j’ai été bluffé. Par le travail, par la présentation, et par l’intelligence du questionnement.

Murmuration ©Robert Hodgin

Et en effet, quand l’IA parvient, en quelques manipulations, à récréer avec acuité et pas mal de souffle les mêmes productions, en quelques heures plutôt qu’en quelques mois de travail assidu, à quelle dépossession de nous-mêmes assistons-nous, et quel sentiment de vacuité et d’inutilité nous submerge-t-il? Hodgin en fait la démonstration, drôle et terrible, en créant des films (avec IA), dans lesquels des artistes témoignent, le visage en pleurs, de l’enthousiasme que suscite en eux la production de leur œuvre par une IA que l’on voit en arrière-plan. «Quelle joie de regarder l’IA faire mon art, je peux me consacrer aux choses vraiment importantes», dit l’un des vrais-faux interviewés.

Ne pas s’exclure de la création au cœur d’un monde en évolution

À quoi bon? Why Bother? à cette question lancinante, Hodgin apporte une réponse en trois points, simple, d’humour et de sagesse: s’intéresser à autre chose (!), c’est-à-dire ne pas rester en vase clos, rester dans le coup pour voir les progrès de l’IA et ne pas s’exclure de la création au cœur d’un monde en évolution, et surtout faire en sorte que les créations disent et expriment quelque chose de vous. La question est donc moins celle de la production d’une œuvre, que celle de sa génération, du trajet de mise en forme d’une idée, d’une facette de votre création, quels que soient en définitive les outils qui permettent de donner forme à cette création.

Les interventions qui ont suivi celle de Hodgin ont apporté chacune une part de réponse à la même question. Eddie Opara, partenaire au sein du prestigieux Pentagram souligne la responsabilité sociale du design et comment celui-ci peut devenir un catalyseur de régénération, de bien-être, d’éducation, d’autonomisation. Opara déclare parfois «détester» le travail qu’il fait pour ses clients, mais trouve du sens dans la création d’un jeu pour que les enfants d’aujourd’hui quittent leurs écrans et (ré)apprennent à verbaliser leurs émotions.

Daniel Simu, Acrobot ©Jona Harnischmacher

L’intervention finale du jour était celle de Daniel Simu et son Acrobot. Du cirque, de la robotique, de l’humour et une réflexion en action. L’artiste jongleur néerlandais explore ce qu’il nomme le «Playful Discovery», dans une pratique qui désescalade l’hystérie IA pour faire d’un robot son partenaire d’acrobatie. Une réponse en pirouette, joyeuse, fragile, tonique.

Les interventions de ces trois conférenciers, si éloignés soient-ils dans leurs pratiques individuelles, éclaire la différence fondamentale entre la production d’images, de films, de sculptures, de choses, et la création d’idées, de concepts, de performances, d’images, de films, mais aussi de liens entre les gens, de réflexions partagées, d’intelligence – tellement humaine, celle-là.

©Kikk 2025 DR

Ce qui, bien sûr, interroge le KIKK à son tour: à quoi bon? La manifestation fêtera l’année prochaine ses 15 ans. Le KIKK a démarré dans l’enthousiasme du partage des technologies, de la curiosité envers les pratiques de design et de création, dans la croyance d’un progrès du monde. Le version 2025, sous la houlette de Gilles Bazelaire et de Marie du Chastel, évolue vers une réflexion plus fondamentale, parfois plus sombre, souvent très fine, sur les raisons d’être des métiers de création et de créativité, de la mise en interrogation du modèle de production, d’une réflexion sur l’impact (mercantile, social, sociétal, écologique, humain) des technologies et de la création.

Mais dès aujourd’hui, la réponse est là, devant nos yeux: à travers toutes les conférences, les animations, les tables rondes, les installations, les expositions, les soirées… il s’agit de vivre ensemble une réflexion, de créer des petits liens entre des gens passionnés et des gens passionnants, de susciter des inspirations, de motiver des talents, de donner du courage parfois. C’est évidemment l’essence et la créativité humaine que le KIKK stimule année après année. Vivement 2026!

Pour voir encore plus de créations de Robert Hodgin ici.

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KIKK Festival – Du 23 au 26 octobre à Namur (divers lieux et installations dans toute la ville). Tout le programme & Renseignements & billets.


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