RECHERCHER SUR LA POINTE :

Je m'amuse à glaner des œuvres à Bruxelles ou ailleurs. Je prends plaisir à alimenter ma bibliothèque intime, méli-mélo anarchique de films et d'arts vivants.  Le bric-à-brac c'est: Assumer pleinement un regard situé ̶ queer, féministe et décolonial ̶ comprendre ce qui me touche, me marque, me questionne et restituer mes notes comme autant de pensées attrapées au vol.
épisode 1/3
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Kifesh 2.0, présenté au théâtre des Doms en juillet 2024 ©B. Buchmann-Cotterot

Kifesh 2.0 par Kifesh

Émois

épisode 1/3

«Je suis un voyageur» dit le flyer.

Oumar Diallo et Israël Ngashi, deux artistes bruxellois, nous livrent une œuvre courte où les mots jaillissent du Krump. Les corps s’éreintent.

«Je sais voler moi,

Toi tu sais pas voler

Toi, tu sais voler»

On porte en nous les voyages que d’autres ont faits, les marques de transhumances.

Autour de nous, résonne le silence, c’est probablement ce qui me marque le plus: le silence. Les corps se meuvent, disent et crient sans un bruit, étant d’autant plus audibles. On m’ouvre à un univers doux, de danses ancrées dans la culture hip-hop, se situant à l’endroit de la tendresse. Une réplique désarmante à tous les clichés que le binôme charrie en étant simplement dans l’espace. Les projections racistes, conscientes ou non dont leurs corps font l’objet.

Par le mouvement, ils s’envolent.

Kifesh 2.0, présenté au théâtre des Doms en juillet 2024 ©B. Buchmann-Cotterot

Je suis touchée par la connexion entre eux, comme s’ils voulaient faire corps à deux.

Je suis touchée par la douceur malgré la main quasi épileptique.

Je suis prise par la proposition: parfois, pour entrer dans une œuvre il faut que je débranche ma volonté de traduire le mouvement. Je vois des corps qui semblent agités et mûs par ce qu’on leur renvoie, comme un trop-plein et qui, en parallèle, agitent et époussètent ce qu’ils reçoivent: mots, silences ou regards chargés.

Ils dansent une certaine violence.

Les rares mots prononcés éclatent comme un miroir brisé…

La prestation physique des deux danseurs est impressionnante – entre improvisation et maîtrise – les rares mots prononcés viennent faire respirer le tout. Ils éclatent ci et là comme un miroir brisé.

D’ailleurs, de miroir, il y en a un, il est tiré d’un bout à l’autre de la scène: il nous reflète. On se découvre regardant. On se surprend regardant. Le regard est comme une arme retournée contre nous ou plutôt une arme détournée, cessant soudainement d’être une arme.

Je regarde autour de moi: que signifie le corps de deux hommes noirs dans l’espace? Dans cet espace, parmi ces gens? qu’est-ce que ça provoque autour de moi quand ils s’approchent, à la fois puissants et vulnérables? N’est-ce pas de ça que la pièce parle? De ces corps dans le regard des autres? De la peur, du malaise, de la méfiance, de l’empressement à se débarrasser de toute émotion ou pensée gênante? Tant mieux si aucune ne nous effleure.

Ils n’ont pourtant même pas l’air de vouloir changer ou dénoncer quoique ce soit, juste la simple envie de respirer. De récupérer leur essence, d’être autre chose que le support d’idées reçues, de pensées limitantes et limitées. D’être enfin un corps non-conditionné dans l’espace.

Sur le T-shirt d’Israël représentant le célèbre film de Mathieu Kassovitz, La Haine, le titre a changé, remplacé par L’Amour. La danse semble le combustible de la frustration et de la violence. Ils nous proposent une trêve, un break, une pause. Sans musique, alors qu’on n’entend que leurs mouvements, leurs déglutitions, leurs respirations, et quelques mots jetés ici et là, ils font taire les nôtres et peut-être, nos pensées aussi.

Ils prennent l’espace dans ce silence, s’y font enfin voir et entendre. 

Kifesh est une invitation à une intimité commune et éphémère où les cartes sont redistribuées.

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Kifesh 2.0 a été programmé au théâtre des Doms en juillet 2024.


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