
Nouvelle Vague
Émois17 octobre 2025 | Lecture 4 min.
1960 à Paris. Un vent de renouveau ébouriffe la capitale. Les films de papa prennent sévère depuis que les Chabrol, Rivette, Truffaut, ont posé leur stylo des Cahiers du Cinéma où ils dézinguaient le bon vieux cinéma-théâtre, tout en scénarios éculés ou tournages conventionnels de studio, pour se lancer dans les rues et dans les campagnes et tourner leurs premiers films de long-métrage: Le Beau Serge, Paris nous appartient, Les 400 coups. La Nouvelle Vague, un «label» créé par Françoise Giroud pour qualifier la nouvelle génération en 1957 – était née au cinéma dans la foulée du nouveau roman… On déconstruit, on est libre. Bref, ça dépote.
Le dernier à ne pas avoir tourné «son film» est Jean-Luc Godard. Entre vrai trac, manque d’argent, posture dédaigneuse et arrogance en bandoulière, Godard cherche et cherche encore. Et quand enfin sort À bout de souffle, c’est l’avènement d’un cinéaste et d’un film-culte. Un faux polar existentiel, distancié et bordélique, qui casse toutes les conventions avec une joie contagieuse. Beau succès public (250.000 entrées en son temps, un très beau score), et la révélation de Belmondo, Jean Seberg. Et surtout, l’inspiration pour que plus de 100 réalisateurs se lancent à leur tour.
Godard, c’est le punk intello de la bande, qui se tient à distance, se cache derrière ses lunettes noires et donnera des leçons à tout le monde. Et, si vous me le permettez, un fieffé mal embouché qui ne suscite pas une sympathie immédiate. Plus tard, il s’engueulera avec Truffaut, et tournera au «génie aigri», tout en questionnant sans cesse la forme et la matière cinéma. Un type intéressant, mais pas attachant.
1960 à Houston. Naissance de Richard Linklater, futur cinéaste éclectique et inclassable. Le lien entre Before, Boyhood et Hitman, c’est l’esprit assez expérimental du gars (suivre un personnage pendant 12 ans, des films qui se centrent sur une journée…), dans des formes grand public. Une signature toujours intéressante. Et une passion pour la Nouvelle Vague française.
Gonflé
2025, retour à Paris. Richard Linklater sort Nouvelle Vague, consacré au tournage fictionnel de A bout de souffle. Un très beau noir et blanc, la reconstitution minutieuse d’un Paris insouciant et intellectuel, un casting de sosies de tout le monde du cinéma des années 1950-60. On y retrouvera les cinéastes-clés de l’époque, de Truffaut à Melville, mais aussi les critiques, les opérateurs, les producteurs… Le film sur ce film ne se la joue pas Nuit américaine à la Truffaut, mais cherche plutôt à établir un biopic (une biographie filmée) non pas d’un auteur ou d’un personnage de l’Histoire, mais d’un film. Un making off géant, une gageure étonnante et risquée.

Et un résultat jubilatoire et troublant. Jubilatoire, parce que c’est rudement bien foutu, c’est drôle, c’est enlevé. On ne s’ennuie pas… Linklater est visiblement fasciné par son sujet et son enthousiasme à filmer se perçoit de bout en bout. Parce que Paris est magique, parce que le noir et blanc est magnifique, parce que l’opération de «dépoussiérage» du chef d’œuvre de la Nouvelle Vague est réussie. Parce que toutes les références sont là, et que, «si vous avez la réf, vous allez kiffer». Parce qu’il donne envie de revoir tous les films, à commencer par À bout de souffle.
Contrôle du souffle
Mais c’est là qu’un sentiment très troublant s’empare du spectateur de ce voyage dans le temps. La Nouvelle Vague était un mouvement – qui ne s’est jamais vraiment défini comme tel – de cinéastes qui cherchaient une liberté de ton, de technique, d’écriture. Beaucoup d’entre eux ont délaissé les studios pour partir équipés légèrement, prêts à filmer ce qui venait à eux (Paris nous appartient, de Rivette, est un très bel exemple). Et si Truffaut ou Chabrol étaient en fait plus classiques dans leur narration (leurs films sont plus écrits), les scènes étaient souvent pondues dans la nuit pour être tournées le lendemain. Bref, la Nouvelle Vague, c’est un vent de liberté, incarné par une brochette de trentenaires audacieux.
Mais cette Nouvelle Vague-ci est un film incroyablement contrôlé, tourné en français par un réalisateur américain sexagénaire parlant peu français. Un travail de reconstitution de maniaque parfaitement obsessionnel. Les acteurs principaux n’échappent pas à cette logique de contrôle total. Guillaume Marbeck – dont c’est le premier rôle – est un Godard sur-signifiant: la gestuelle, la diction, l’attitude en font une reconstruction fascinante. On voit Godard qui devient Godard. Mais jamais la distance n’est abolie.
On voit Godard. Zoey Deutch est une Jean Seberg (presque) aussi puissante que la vraie. Peut-être parce que cette américaine-ci, au français encore hésitant, incarne cette américaine-là, qui détonnait avec charme et intensité dans un univers si parisien, et que l’écho de l’une prend bien la voix et l’allure de l’autre. Quant à Aubry Dullin, il s’attaque à l’Himalaya, puisque l’imaginaire de Bébel est encore en chacun de nous. Une gouaille, une désinvolture un peu trop appliquée ne parviennent pas tout à fait à convaincre.
Nouvelle Vague se prend à son propre piège, par moment. On est dans une revisite passionnante et pittoresque. Une sorte de «Jean-Luc In Paris» pour cinéphiles contemporains. C’est pour moi la question qui demeure. À qui s’adresse le film? Aux vieux cinéphiles blanchis sous le harnais des salles obscures depuis plus de 60 ans? Aux jeunes passionnés de cinéma qui hantent les cinémathèques ou les cours de scénario de l’ULB?
Aux amateurs de formalisme qui, de Wes Anderson à Yorgos Lanthimos en passant par Soderbergh, aiment le trajet de leurs réalisateurs favoris ? Mystère… Peut-être Linklater ouvre-t-il une voie de FilmPics passionnants. Je prends déjà option pour un Making Off de Citizen Kane et du Faucon Maltais, dont la réplique-clé s’applique parfaitement ici: «The stuff dreams are made of». La substance même des rêves, à la poursuite de laquelle Linklater s’essouffle un peu.
___
Pour aller plus loin:
La bande-annonce de Nouvelle Vague, Richard Linklater – 2025
Et le teaser d’une version américaine de À bout de souffle, pour un retour aux sources.
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