Family Matters
En ce moment25 avril 2023 | Lecture 4 min.
Après la très belle exposition I Built a Wall de Serena Vitorini au MAAC, il semble que le questionnement identitaire par une approche sociologique soit plus que jamais en vogue. La famille compte et influence notre existence plus qu’on voudrait parfois bien le croire. Dans cette proposition, l’interprétation de la famille passe par des symboles forts, tels que la mère mais aussi des objets: table, le mobilier…
Sacraliser le moment: le rituel de la table
Dans la vidéo All together now…, 2005 (3’), Hans Op de Beck évoque trois repas envisagés comme des rituels matérialisant des moments de transition de la vie en famille: l’anniversaire, le mariage et les funérailles. Le choix délibéré d’un plan travelling ininterrompu exprime l’idée de continuité qui relie ces événements entre eux. C’est dans ce même esprit que vient s’inscrire le travail d’Amélie Berrodier avec Le Repas, 2018 (38’).
En présentant la table comme un motif de réunion familiale, c’est cette fois-ci en silence qu’est filmée la scène. Cette vidéo nous permet de saisir la portée immatérielle et le poids de ce phénomène dans un ton plus performatif. Notre coup de cœur revient à Kika Nicolela pour sa revisite féministe du Cake d’amour, la chanson devenue iconique dans le film Peau d’âne (Jacques Demy, 1970). Par le réemploi de la figure docile de la femme en plein accomplissement d’une recette de gâteau, l’artiste nous emmène vers un militantisme assumé, avec une mutation de l’obéissance aveugle vers l’insubordination de la «parfaite ménagère».
La mémoire: la transmission par la lignée
D’autres installations traitent davantage de l’héritage familial immatériel: ce qu’on gagne, mais aussi ce qu’on perd dans l’avancée générationnelle. Ces réflexions et recherches soulignent notamment la question culturelle. L’installation Mother Tongue, 2022 (4’37”), de Zineb Sedira, développe tout à fait le sujet avec un tryptique vidéo qui présente une mère et sa fille racontant un souvenir commun. Elle s’expriment dans deux langues différentes, mais se comprennent. Dans la deuxième vidéo, c’est la fille, devenue mère à son tour, qui raconte le même souvenir à sa fille dans sa deuxième langue. La troisème vidéo confronte la grand mère et la petite fille. Le souvenir ne peut plus être transmis car chacune maîtrise une langue différente.
Elodie Antoine illustre quant à elle avec brillot le lien transgénérationnel familial au travers de ses Chaises à bascule, dans lesquelles on peut asseoir le poids d’une lignée et y retranscrire ses histoires, ses tabous.
Cette sélection donne lieu à un univers poétique, à la fois naïf et mature. Il s’agit là d’une vision très complète de la représentation de la famille: 19 artistes portant un regard singulier sur le sujet, incluant le visiteur à ressentir, et à devenir parfois partie intégrante de l’œuvre…
Notons que le lieu en lui-même ajoute un cachet particulier à l’exposition. Cette maison originellement familiale ne semble pas seulement accueillir l’événement. Elle agit comme une œuvre d’art à part entière, dont l’architecture rappelle avec nostalgie l’histoire qui s’y est joué un temps.
Le bonus
Si vous êtes sur place, ne passez pas à côté de la collection de bijoux d’art Ornamentum de Diane Venet. La femme du célèbre artiste Bernar Venet, dont on retrouve d’ailleurs quelques bijoux, montre ici sa sensibilité et sa grande connaissance de l’histoire de l’art. Ceci donne lieu à une visite à la fois touchante et ludique, qui présente plusieurs bijoux à la signature singulière, telle que Viallat, Morellet ou Soto. On a particulièrement apprécié les pièces d’orfèvres relatives aux accumulations (César, Arman etc.). Mais on a aussi flashé sur les chaînes rock’n’roll de Wim Delvoye qui évoquent le «Jesus Twisted». Toujours pour les amateurs et amatrices de musique, attardez-vous sur la bague de Yoko Ono, figurant un disque d’or, sur lequel est gravé «Imagine Peace». Mais les pièces les plus touchantes sont peut-être les plus anecdotiques: la «Tête de fou» d’Orlan ou bien le «Cucumber» d’Ervin Würm… On vous laisse juge!
En définitive, il s’agit d’une exposition pleine d’excentricité, comme l’illustrent parfaitement les colliers de Yayoi Kusama et de Joana Vasconcelos. Elle nous permet d’accéder à une synthèse relativement complète de plusieurs grands mouvements modernes et contemporains, en faisant se côtoyer mouvements et concepts.
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Family Matters à la Villa Empain, du mardi au dimanche, de 11h à 18h, jusqu’au 28 mai 2023. Visites guidées gratuites tous les premiers dimanches du mois.
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