RECHERCHER SUR LA POINTE :

Cette série nous plonge dans des séquences de films et explore comment des plans spécifiques provoquent des émotions et réflexions essentielles.
épisode 1/2
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Marc-André Grondin dans Le Successeur ©KG Production - Stenola Production - Metafilms INC

Le successeur

Émois

épisode 1/2

Connaît-on réellement nos parents? Certes, ils ont (pour la plupart d’entre nous) donné de leur temps pour notre bien-être. Mais cette image de parentalité n’est-elle pas une projection que nous nous faisons d’eux? Un masque social comme nous en portons régulièrement?

Telles sont les questions qui se posent à Ellias, le protagoniste du Successeur (2023). Nouveau directeur d’une célèbre maison de Haute Couture française, Ellias va devoir dissimuler l’horreur à laquelle il sera confronté à la mort de son père dont il se tenait volontairement éloigné. Contacté à la suite de la crise cardiaque de ce dernier, il se rend dans la maison paternelle afin de régler la succession. Celle-ci, à priori normale, ne contient qu’un amas d’objets inanimés… Mais comme souvent, la banalité apparente peut cacher le mal…

Une image filmée en contreplongée d’un escalier annonce déjà l’horreur qui va surgir.

Le plan qui nous intéresse est un cadre fixe. Une image filmée en contreplongée d’un escalier annonce déjà l’horreur qui va surgir. C’est en effet une idée que l’on retrouve dans de nombreux films d’épouvante: la terreur peut se trouver dans un bâtiment pourtant aussi habituel qu’une maison. On peut penser à «Barbare» de Zach Cregger, où l’effroi se dissimule dans des murs proprets…

Ici, alors qu’Ellias cherche à finir de vider la maison du défunt, il découvre une pièce secrète dans la cave, où il a du mal à pénétrer. Un mur se dérobe, laissant place à un couloir sombre. Le décor habituel se décale vers une forme de surnaturel architectural, bien que la réalité ne vire pas vers du pur fantastique.

C’est là que Xavier Legrand nous prend par surprise. La convention nous pousserait à avancer en même temps qu’Ellias, à partager avec lui cette inquiétude. Mais, au contraire, la caméra reste en dehors de ce couloir sombre et se fige, abandonnant notre personnage dans son mouvement. Nous sommes dans l’attente, effrayés par ce que nous ne pouvons pas voir alors même que notre protagoniste va devoir supporter cette vision. La crainte ne fait qu’augmenter de manière croissante. Nous faisons face à l’inconnu tout en ne pouvant nous y plonger totalement, étant donné la position de la caméra. Tout d’un coup, quelque chose bouge. Ellias hurle et fuit, terrifié par ce qu’il vient de voir. Notre terreur va dès lors s’accentuer dans ce sursaut, même si nous ne pouvons qu’imaginer ce que le jeune homme a aperçu.

Nous l’accompagnons ensuite dans sa fuite et il nous faudra un peu de temps pour que la mise en scène nous permette de visualiser ce qu’Ellias a vu au fond de ce couloir.

Ainsi, par le simple blocage d’une caméra spectatrice, Xavier Legrand joue avec nos émotions à différents niveaux. Déjà, nous sommes terrifiés par ce que nous ne pouvons voir, ce que nous pouvons seulement imaginer. Comme le personnage, nous ressentons une angoisse qui nous étreint subitement, mais contrairement à ce qu’un simple jump scare pourrait provoquer dans un sursaut vite évacué, le sentiment éprouvé ne nous lâchera pas, se muant en malaise qui va nous étouffer, avec Ellias, tout au long du film.

Alors que le film bascule vers une horreur moralement sournoise, nous ne pouvons qu’assister aux dérapages d’un personnage en totale perte de contrôle, affolé par ce qui se dissimulait sous le masque de son père, monstre aux habits de bon voisin. La mécanique narrative du Successeur, se reposant sur les mauvais choix répétés d’Ellias, peut diviser son audience. Mais cette bascule visuelle ne nous quitte pas durant tout le long-métrage, retors et sournois, à l’image de ce plan de pure terreur…

Le Successeur
Réalisation Xavier Legrand
Scénario Xavier Legrand
Acteurs principaux:
Marc-André Grondin
Yves Jacques
Anne-Élisabeth Bossé

Pays de production: France/Canada (Québec)/Belgique
Sortie 2023

Disponible sur Sooner.

Librement inspiré du roman d’Alexandre Postel, L’Ascendant 1,2,3, publié en 2015, NRF Gallimard, collection « Blanche », 2015,126 p.


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