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La maison dans laquelle

«Salut à vous les avortons, las prématurés et les attardés. Salut les laissés-pour-compte, les cabossés et ceux qui n’ont pas réussi à s’envoler ! Salut à vous, ‘Enfants-chiendent’ !»

Roman d’adolescence, d’apprentissage, d’aventure, La Maison dans laquelle est le premier roman de l’autrice arménienne Mariam Petrosyan, paru en français en 2016, dans la très belle édition Monsieur Toussaint Louverture. L’histoire se construit des récits mêlés de ses personnages étranges, tantôt inquiétants, émouvants, déroutants. Ces adolescents différents vivent en bandes aux noms d’animaux (les rats, les oiseaux, les faisans…) organisées selon des codes et des rites propres. À l’humilité et au respect des règles des faisans s’opposent le libertarisme et le goût de la violence des rats tandis que les oiseaux se parent d’une collerette blanche et vaquent à leurs affaires.

La maison, c’est un univers en soi: sur trois étages, à travers les chambres, les couloirs, les salles de classe, le monde de ces enfants dont on n’a pas voulu au dehors fonctionne en vase clos. Là, le fantastique peut surgir à chaque moment à l’image de la forêt dans laquelle on tombe au détour d’un couloir, des légendes et des superstitions qui se transmettent entre ces jeunes habitants.

La Maison dans laquelle, Mariam Petrosyan

«Ses trois étages donnent sur une autoroute. Son toit est hérissé d’antennes et de fils, sa chaux s’effrite, ses lézardes pleurent. Elle est aussi dotée d’une cour, un long rectangle cerné de grillage. Autrefois, sa peinture était blanche. Désormais c’est le gris qui domine, sauf pour le mur à l’arrière, qui a jauni. Côté cour, s’entassent garages, appentis, bacs à ordures et niches à chiens. La façade, quant à elle, est triste et nue. Comme on pourrait s’y attendre.

Personne ne l’admettra, mais les habitants des tours ne voient pas la Maison grise d’un bon œil. Ils préféreraient ne pas l’avoir dans leur voisinage. Ils préféreraient en vérité qu’elle n’existe pas du tout.»

La maison comme le roman sont touffus; on y entre et on accepte de se perdre dans son dédale de pièces, de suivre les élucubrations de Lord, Fumeur, L’aveugle, Tabaqui. Leurs supposés handicaps deviennent des manières différentes et complémentaires d’expérimenter cette maison-univers qui fonctionne selon ses propres lois.

On y rampe, on y roule, on voit au-delà du réel. Surtout, on essaye d’y retenir l’enfance, d’éviter d’y grandir trop vite. Si cette maison-monde, dite La grise est sombre, inquiétante et semble souvent dangereuse, elle est à l’image de l’adolescence où, alors que tout paraît confus, on trouve un refuge dans les bandes de copains, on affirme son identité à travers des surnoms aussi tendres que grotesques et dont, malgré les frustrations, l’inconfort et le trouble, on ne veut pas sortir trop vite…

L’adolescence, on y replonge comme on lit ce roman choral: avec surprise, fascination et l’envie d’avancer mais, aussi d’y rester encore un peu…


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