Gloire à John Fante, le rageux au cœur tendre
Émois9 mars 2023 | Lecture 2 min.
épisode 8/14
«Ils m’ont fait tellement de mal que je n’ai jamais pu devenir comme eux ni leur ressembler».
John Fante n’a jamais raconté qu’une seule histoire: la sienne. Très rarement la vie d’un écrivain se sera à ce point confondue avec celle de son héros. Il presse son existence pour en sortir le suc, et il le fait avec une rage, une abnégation et une férocité telle que ses mots, après avoir frappé et influencé Bukowski, m’ont renversé et foudroyé.
Puisque sa vie n’est pas facile — il est fils de pauvres immigrés italiens ayant tenté l’american dream — son œuvre le sera encore moins. Fante trouve dans l’écriture l’exutoire idéal pour renverser son misérable destin, le sublimer et lui donner une dimension tragique. Il rate sa vie mais avec panache, il se venge avec l’énergie du forcené, il rend les coups avec une violence inouïe, dont je n’ai trouvé aucun équivalent dans la littérature. Le lire est une leçon tant son écriture est libre, méchante, agressive, cogneuse, ce sont des uppercuts balancés au nez de quiconque osant ouvrir le livre. Le racisme la violence, le mépris de classe, le désintérêt des femmes: tout ce qu’il subit quotidiennement, Fante le transforme et le renvoie au centuple par le biais de son double fictif, Arturo Bandini. Celui-ci est loin d’être un exemple. Écrivaillon raté, il est mégalomane, hautain, ambitieux, lâche, obsédé, raciste (lui l’italien à peine arrivé aux U.S.A), misogyne.
C’est que Fante n’essaie pas de plaire, il se fout du bon goût et des politesses. Ce qu’il veut c’est saisir le monde dans ce qu’il a de plus moche, de plus petit, de plus médiocre. Et il s’autorise tout: c’est brut et cru, mesquin et pathétique. Il n’épargne personne (certaines insultes et réflexions seraient difficilement publiables aujourd’hui) et surtout pas son alter-ego, plus ridicule encore que celles et ceux à qui il s’attaque. Quand Bandini passe sa frustration ce ne sont pas des actes de bravoure: soit il s’en prend aux animaux (les crabes qu’il écrabouille dans une scène d’anthologie de La route de Los Angeles), soit à des personnes prétendument plus faibles quelui: des femmes, des « métèques », sa bigote de maman.
Mais alors, pourquoi le suivre ?
Parce que, si le romanesque ne l’intéresse pas, il nous offre – par l’entremise de Camilla et d’Arturo – l’une des romances les plus singulières et les plus saisissantes qui soit. Leur relation, véritable concentré de haine, d’attraction et de répulsion sort complètement des stéréotypes du genre.
Et surtout parce que l’auteur à des fulgurances éblouissantes. Derrière la plus basse trivialité peut surgir des moments de lyrisme puissant. Quand Fante/Bandini se lance(nt) dans ces diatribes, nous lisons quelques-unes des plus hilarantes et des plus belles pages de la littérature américaine. Tout simplement. Parce que oui, son personnage est très drôle, d’un humour politiquement incorrect et jubilatoire. Ses colères enfantines, sa brutalité égocentrée, ces insultes, ses vanités et ses grandes manières (il cite Nietzsche à tour de bras pour paraître intelligent) sont autant de points qui nous le rendent attachant. On a envie de le gifler avant de lui payer un verre et le prendre dans nos bras.
Car la méchanceté qui ressort de Bandini n’a d’égal que sa détresse. Derrière ses insultes se cachent ses complexes, derrière ses fureurs se dissimule son besoin pressant d’être aimé, apprécié et accepté dans une société qui n’a eu de cesse de le rejeter. Chaque ligne contient les humiliations vécues par l’écrivain, sa solitude, et la frustration de n’être pas reconnu comme le génie qu’il était. Pourtant, l’empathie qu’il parvient à instiller dans ce personnage ignoble nous prouve qu’il est bel et bien à ranger du côté des plus grands.
Gloire à John Fante!
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