RECHERCHER SUR LA POINTE :

Une œuvre ou un·e auteur·ice qui déclenche un enthousiasme entier, jubilatoire, sans nuance. Le genre «je l’achète sans regarder la quatrième de couverture, ou sans écouter le single». Bref, on aime, on est béat, et on le dit fort.
épisode 2/14
2/14
Couverture de Sukkwan Island de David Vann. ©Gallmeister.

David Vann

Émois

épisode 2/14

Aujourd’hui, David Vann, l’écrivain qui a fait de la météo et des quatre éléments des personnages actifs et déterminants dans ses romans. Il y a de l’air chez David Vann. Glacial d’abord. Son premier opus traduit, Sukkvan Island, en 2008, vient nous doucher les isobares en campant les scènes les plus dures de retrouvailles entre un père et son fils au milieu d’un nulle part fascinant: une île du sud de l’Alaska, où l’on se gèle les cœurs. Et les tentatives de rapprochement se soldent par un échec cuisant. Bref, une claque. Un style âpre, qui met en miroir le temps qu’il fait et le destin des personnages, entre frimas et frissons. Et un Prix Médicis qui couronne tout ça en 2010.

On aime, et on se précipite sur Désolations, second livre de l’auteur alaskien. Avec un titre comme, ça, ce sera drôle… L’odyssée désolante du couple Gary et Irène, mariés depuis 30 ans. L’idée fixe de Gary de construire sa cabane sur un îlot désolé au large d’un lac glaciaire (!), puis la capitulation d’Irène, le tout au mitan d’un hiver qui s’annonce apocalyptique. La solitude terrible des humains jetés là, que le romancier regarde se déchirer avec un œil d’entomologiste, laissera un goût de déliquescence délicieuse et une admiration sans borne pour le talent du bonhomme Vann.

La bonne nouvelle, c’est que la suite de l’œuvre n’allait pas se contenter de promener des personnages désespérés et de les faire mourir à petit feu dans des paysages circumpolaires.
Impurs, troisième opus, nous emmène dans une fournaise tout aussi létale que les glaces précédentes, et à partir de là Vann explorera tour à tour la vie dans un bocal – avec Aquarium, un très joli conte doux-amer où, pour une fois, tout ne part pas à vau-l’eau -, ou les échappées sous-marines – avec Komodo, son presque meurtre et sa déréliction joyeuse comme un varan.

Et puis, OVNI majestueux, L’obscure clarté de l’air, où David Vann opère une relecture poétique et terrifiante du mythe de Médée (la mère infanticide et la femme absolue de la mythologie grecque). Une splendeur qui laisse sans voix. Jusque-là, on adorait le style et les histoires de haine, de terreurs enfantines et d’échouages familiaux. Mais la langue de cette Médée-là, son souffle, ses audaces de ton et de forme nous font tomber des nues et nous transforment en groupie.

Changement de style encore avec Dernier jour sur terre, qui raconte… le dernier jour sur terre d’un tueur de masse américain dans un récit minutieux, et met en parallèle la biographie de l’auteur, dont le père se suicide quand il a 13 ans. Peu de pathos, mais une douleur insondable. Cette veine bio-bibliographique trouve un écho dans Goat Mountain, où nous retrouvons toute la famille Vann dans une saga forcément suicidaire, forcément lucide, forcément humaine jusqu’au bout.

Clair, David Vann ne convoque pas la douceur ou les bons sentiments. Il taille avec une infinie patience dans le vif de l’humain, il vivisecte nos peurs, nos élans émotionnels, nos amours fracassées, notre solitude. Chez ce Thoreau angoissé, la nature met à nu le tout petit homme, et cet humain dépossédé de ses oripeaux contemple le silence éternel de ces espaces infinis qui l’effraient.

NB: David Vann est traduit en français par Laura Derajinski et publié chez Gallmeister.

https://davidvann.com/

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