La chambre d'à côté
Émois14 janvier 2025 | Lecture 4 min.
épisode 14/14
Ingrid et Martha, amies de longue date, ont débuté leur carrière au sein du même magazine. Lorsqu’ Ingrid devient romancière à succès et Martha, reporter de guerre, leurs chemins se séparent. Mais des années plus tard, leurs routes se recroisent dans des circonstances troublantes…
Il y a des cinéastes que j’aime, d’autres que j’adore ou que j’admire un peu. J’avoue être amoureux du cinéma d’Almodovar depuis des années et je vous prie d’excuser le sentimentalisme qui va suivre. La chambre d’à côté, son nouveau film, américain s’il vous plaît, m’a fait un bien fou et j’ai déjà envie de le revoir. Ayant manqué certaines de ses récentes explorations entre le court et le long métrage, je retrouve ici l’atmosphère et l’élégance qui m’avait manqué.
Nous suivons l’histoire d’amitié de deux femmes dont l’une a acté son désir de se donner la mort et demande à l’autre de rester pas loin pour qu’elle s’en sente la force. Je pourrais gloser des heures sur la distance caractéristique qu’Almodovar développe entre son spectacle et le/la spectateur·ice, tellement héritée de la conversation du cinéma avec le théâtre; qui crée de la drôlerie dans le drame et une profondeur saisissante sous le masque de la légèreté. On est à la fois très proches des personnages et complètement saisis par la ridicule mascarade des situations qui se jouent devant nous.
Ces mascarades, soigneusement emballées dans toute une série de rituels où les actrices se mettent en place, arrivent ou quittent la scène, sont pour moi des parenthèses de respiration sophistiquées très agréables. Tous ces moments soigneusement artificiels, dans une époque où les spectacles sont toujours plus rapides et nerveux, ralentissent le temps du récit et accordent à l’esprit le luxe trop rare de se balader à son aise, de s’arrêter sur les costumes, les décors, de constater aussi derrière les dialogues, les allusions au monde du spectacle, à l’état de la création…
Finalement, dans nos vies de tous les jours, avec nos amis, nos familles, ne rejouons-nous pas sans cesse ces mêmes mascarades attachantes?
Almodovar a le goût de ne pas s’en cacher, de les exposer avec bonheur et surtout de ne pas se prendre au sérieux au passage. Cet opus me semble être l’un de ses plus beaux trésors, certainement parmi ses plus équilibrés.
Pas une scène n’est en trop ou ne manque. On y retrouve la gravité des petits drames du quotidien et la légèreté moqueuse face à ceux qui parlent trop fort.
Il faut toute l’expérience d’une vie de cinéma et un long travail de précision pour aboutir à une telle délicatesse, une telle économie qui résonne pour moi comme une forme d’aboutissement, ou en tout cas de rondeur. D’ailleurs, beaucoup s’y sont cassé les dents, mais ici la langue anglaise ne fait aucun mal à son cinéma. Au contraire, elle viendrait presque ajouter une sorte de retenue dans le rythme, comme une fluidité dans le silence.
Il est évident que le film est moins directement vivant que certaines de ses œuvres précédentes. Sans avoir l’air d’y toucher, il aborde de front des questions difficiles (euthanasie, tensions dictatoriales, catastrophe écologique…) sans perdre de sa vitalité. Les thèmes et, à travers eux, une idée de notre époque, empêche peut-être de dissimuler une certaine «compression» du cœur. La chambre d’à côté vous amusera peut-être moins mais elle vous fera sourire. Qu’est ce qui nous amuse généreusement aujourd’hui, pourrions-nous nous demander?
C’est peut-être en demander trop au cinéma. Pour autant, il ressort de ce film la sensation que quand quelque chose meurt, on se sent vraiment bien vivant. Quoi qu’il arrive, il y a maintenant dans le cinéma une photographie de Julianne Moore et Tilda Swinton ensemble dans toute la puissance de leur talent. Je me réjouis de pouvoir revoir ce film comme un petit joyau qui ne perdra jamais de son éclat.
Un film américain d’Almodovar aurait pu représenter, il y a quelque temps, une forme de promotion, un pas en plus dans la «cour des grands». Peut-être à cause du déclin qualitatif du cinéma américain ou de la grande vitalité européenne récente, j’ai plutôt l’impression que c’est Almodovar qui vient se prêter de bonne grâce au jeu américain.
Je commence cette déjà belle année 2025 avec les mots de Julianne Moore:
«Il y a plusieurs manières de vivre dans une tragédie.»
ESP; USA 2024
Réalisateur: Pedro Almodovar
Scénariste: Pedro Almodovar
Avec Tilda Swinton ; Julianne Moore
Distributeur: Pathé Films
Durée: 1h47 min
Sortie FR: 8 janvier 2025
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