RECHERCHER SUR LA POINTE :

Une semaine de hip hop avec le Freestyle Lab

En ce moment

Dans quel contexte a été fondé le Freestyle Lab?

Freestyle Lab a été créé en 2016 avec la mission de contribuer au développement et à la professionnalisation du hip hop belge et plus spécifiquement du freestyle. Les danseurs et danseuses de hip hop ne vont pas suivre des cours dans des cadres académiques, c’est plus des danses créées dans des contextes de rue, ils et elles s’exercent dans des lieux publics comme des gares, des galeries… c’est là qu’ils apprennent ensemble, et il y a plein de styles qui font partie de cette pratique. Je suis moi-même danseuse de freestyle, je viens de Mons, et en arrivant à Bruxelles, j’ai ressenti une frustration: il s’y passait beaucoup de choses et puis de nombreuses initiatives se sont arrêtées, il y avait un vrai manque d’opportunités, de moyens pour les danseurs et danseuses. Je me suis rendu compte que ma frustration était partagée et qu’il y avait un vrai besoin de rencontres. Freestyle Lab est né de là.

Votre association a pour spécificité de ne pas avoir de lieu à soi mais d’organiser des activités dans des structures différentes, peux-tu nous en dire davantage sur ces partenariats?

On est une association nomade, on fait des événements dans différents lieux à Bruxelles: des workshops, des jams, des battles, des projections, des discussions… Tout un panel d’activités qui nourrissent les danseurs dans leur pratique. On a collaboré avec le Jacques Franck, Charleroi Danse, Kanal-Centre Pompidou… Ces opportunités d’accueil ce sont souvent faites de manière assez spontanée, via via…

©Freestyle Lab
La scène underground doit garder ce côté freestyle, street…

Je n’ai pas envie de créer une école parce que la scène underground doit garder ce côté freestyle, street… Donc il s’agissait surtout de trouver des lieux pour des événements temporaires. Il y a eu un tournant lorsqu’en 2019 j’ai décidé de quitter mon travail pour me consacrer entièrement à ce projet et à ma carrière de danseuse. J’ai fait une formation en entreprenariat culturel qui m’a donné des outils et des objectifs concrets. À partir de ce moment-là, il devenait essentiel que les institutions bruxelloises sachent que j’existe, que Freestyle Lab existe. Mais on choisit toujours nos partenaires, il faut qu’on partage la même vision, que le hip hop soit bien accueilli et respecté dans ces lieux!

Vous êtes accueillis pour la première fois au Théâtre de la Vie cette année, avec une programmation ambitieuse. Quelles sont les spécificités de cet événement?

La nouvelle direction du Théâtre de la Vie nous a offert une carte blanche et on a décidé de monter ce festival. Depuis les cinq ans de Freestyle Lab, on avait envie de créer un événement plus grand, qui rassemblerait les différents activités qu’on développe et qui contribuent au développement de la danse hip hop en Belgique, chacune avec des enjeux différents: la transmission, la professionnalisation, la visibilisation des artistes grâce aux battles…

Comment est organisée la programmation?

On veut s’ouvrir au plus grand nombre parce qu’on a besoin de cette énergie du public et de faire découvrir nos différentes pratiques.

Dans le festival, chaque jour a une spécialité: lundi hip hop, mardi hip hop female. La question des femmes dans le hip hop me tient à cœur: depuis deux ans, j’ai lancé un cours hip hop pour les femmes et je veux ici mettre les danseuses femmes en avant. Il y aura aussi une projection du film de Rachel Raimist, Nobody knows my name. Mercredi, la programmation c’est house dance, l’aspect plus club. Jeudi funk, on a des styles de danse qui viennent de la funk, du disco et vendredi c’est onze groupes qui viennent montrer des étapes de création, avec un jury de partenaires programmateurs qui remettent des prix. Samedi, il y aura une journée de développement de la danse freestyle pour les danseurs avec, le soir, une initiation pour les gens du quartier. Et dimanche, on va aux Halles de Schaerbeek pour un hip hop crew battle, de 3 contre 3. Il y aura une grosse énergie hip hop qui met en avant la communauté et on aura en plus une grosse programmation internationale. Ce sera dans le cadre du grand marché aux Halles, avec une ambiance qui sera aussi très familiale et ouverte aux enfants. Tout le festival est en prix libre, donc il y a un enjeu d’accessibilité important, on veut s’ouvrir au plus grand nombre parce qu’on a besoin de cette énergie du public et de faire découvrir nos différentes pratiques. Donc on veut faire de ce festival une vitrine pour faire découvrir c’est quoi notre culture, sans la transformer mais la faire connaître en dehors du cercle d’initiés.

 Rachel Raimist, Nobody knows my name ©DR

On voit de plus en plus des spectacles ou des artistes de hip hop présents dans les institutions aujourd’hui, que ce soit dans les théâtres, à l’opéra, dans les centres chorégraphiques. Comment éviter le risque d’institutionnalisation de cette culture et préserver sa dimension underground que tu évoquais précédemment?

Il y a aujourd’hui une commercialisation de la musique hip hop, c’est le premier style des jeunes. Et il y a aussi une commercialisation avec la mode vestimentaire… Donc les institutions ont voulu répondre à cet intérêt et ont commencé à ouvrir les portes. Et nous, de notre côté, on a compris que si on voulait se professionnaliser, on devait aussi passer par la création et la visibilisation. Par contre, on doit rester vigilants quant à l’appropriation et l’instrumentalisation de notre culture. On n’a pas de diplôme en danse hip hop mais c’est quoi être danseur professionnel de hip hop? Il y a en effet parfois des incompréhensions et on doit faire attention à ce que l’esprit du hip hop et ses pratiques soient respectés. Donc je ne dis pas nécessairement oui à tout.

©minh_ph
On doit faire attention à ce que l’esprit du hip hop et ses pratiques soient respectés.

Si on fait un événement, on implique notre réseau et il faut que les membres de la communauté se sentent bien, que ce soit un espace safe pour eux. C’est une question de dynamique de travail, de l’accueil qui nous est fait. On est nous-mêmes des danseurs et danseuses, donc garde notre sensibilité en alerte pour que nos valeurs soient partagées là où on est accueilli·es.

Quelles sont ces valeurs?

Le partage, l’unité, les individualités, la créativité. Le hip hop, c’est des individualités dans une unité, différentes générations qui se réunissent, différents styles, de l’amusement. Nous, on organise des événements pour faire kiffer les gens, sortir des routines, du quotidien, et ça ça reste très important. Donc c’est quelque chose qu’on met en place dès le premier rendez-vous avec un partenaire potentiel.

Quelles sont les évolutions dans la scène hip hop que tu observes aujourd’hui face à ce phénomène de mode et vu l’intérêt des institutions?

Les jeunes générations ont aussi envie de se professionnaliser…

Les jeunes générations ont aussi envie de se professionnaliser, de créer des spectacles et leurs propres événements, il y a aussi plus de mélange avec la danse contemporaine.

Pour moi, il faut connaître ses bases: chaque style a ses bases, et il faut les maîtriser pour ensuite improviser à partir de là. Les pionniers et pionnières sont encore là et il faut apprendre d’eux, il faut que cette culture reste ce qu’elle était et se transmette, grâce à eux.
C’est clair que nous aussi on a un peu institutionnalisé nos pratiques en allant dans des lieux et en quittant en partie les gares, en voulant se professionnaliser. Le hip hop, ce n’est plus sur des bouts de cartons dans des gares, on a des opportunités pour en vivre, donc la scène se transforme mais la culture et les bases doivent persévérer.

Une dernière chose que tu aimerais mentionner à propos du festival?

Avec le festival, on a construit la programmation avec l’ambition de mettre en avant nos stars belges. Alors que les institutions vont souvent d’abord aller chercher des danseurs français et d’autres stars internationales, nous on voulait insister sur les stars belges qui sont très très fortes mais qui ne sont pas toujours assez visibilisées chez nous. L’événement veut aussi faire comprendre la richesse de notre culture et de notre communauté. On a une patte belge qui n’est pas assez vue. Je ne sais pas exactement en quoi elle consiste mais quand je suis sur la scène étrangère, on me le dit: on reconnait qu’il y a une patte, un style belge qui est précisément multiple! Par rapport à d’autres pays, il n’y pas un style qui serait uniformisé, national. C’est ma réponse à moi hein, d’autres ne seront peut-être pas d’accord.

Le festival se déroule du 24 au 30 juin, tout le programme est disponible ici.

Hip hop crew battle. Programmation aux Halles de Schaerbeek ( Les détails ici )

Et pour découvrir l’ensemble des activités du Freestyle Lab, c’est là!


Vous aimerez aussi

À gauche, Daniel Blanga-Gubbay et Dries Douibi, codirecteurs artistiques du Kunstenfestivaldesarts à Bruxelles, et, à droite, Jessie Mill et Martine Dennewald, nouvelles codirectrices artistiques du Festival TransAmériques (FTA) à Montréal | © Bea Borgers et Hamza Abouelouafaa

Diriger un festival: à deux, c’est mieux

Grand Angle