RECHERCHER SUR LA POINTE :

Une œuvre ou un·e auteur·ice qui déclenche un enthousiasme entier, jubilatoire, sans nuance. Le genre «je l’achète sans regarder la quatrième de couverture, ou sans écouter le single». Bref, on aime, on est béat, et on le dit fort.
épisode 14/14
14/14
Grégoire Bouillier ©Flammarion

Dossier M

Émois

épisode 14/14

Ils sont rares, très rares, les livres où l’on craint la fin alors que nous ne sommes même pas à la moitié.

Le dossier M[1][1] Flammarion, 2017 est de ceux-là, et, sans conteste, Grégoire Bouillier est ma grande découverte récente. Ces découvertes frappent comme un coup de foudre, rendent heureux, transportent de joie, donnent la sensation que ce livre a été écrit pour vous. C’est fort, c’est fou, c’est jubilatoire!

J’avais déjà beaucoup aimé L’invité mystère, sa simplicité, son étrangeté comique, son originalité. Mais dans Le Dossier M, Grégoire Bouillier va beaucoup plus loin dans l’ambition, dans la démesure, dans l’audace. Il se libère totalement et déploie une langue inimitable, qui n’appartient qu’à lui.

Il se permet tout, absolument tout: les onomatopées, les blagues régressives (ponctuer ses phrases par «poil au zizi»), les apostrophes au lecteur ou les mots barrés (poil au nez).

Il nous donne alors la sensation qu’écrire est facile, instinctif, à portée du premier venu. On sait que c’est faux, et on sait, en l’écoutant, qu’il travaille énormément. Ce sentiment qu’il improvise une diatribe inspirée au fond d’un bistrot, il le doit à son travail de perfectionniste acharné.

L’écrivain ne laisse rien passer, il fait feu de tout bois.

Pour lui, c’est le sujet qui fait le livre, qui le définit. C’est le sujet qui décide de la forme, de ce dont il a besoin, de la façon de raconter l’histoire. D’ailleurs, expliquer un livre de Bouillier est une gageure, tant il part dans tous les sens, tant il s’écarte de tous les chemins et de toute catégorie. Le pitch du Dossier M est pourtant ténu: l’auteur a vécu une histoire d’amour avec une certaine M, et il va nous la raconter. Simplissime?

Oui, mais c’est sans compter sur son amour de la digression (dont il est le roi), des anecdotes, de son besoin de tout nous dire.

L’écrivain ne laisse rien passer, il fait feu de tout bois. La moindre expression galvaudée (je gère, je profite), le moindre mot qui lui parait faux, les paroles d’une chanson, une fille dans une pub, tout lui donne prétexte à s’éloigner de son sujet. Dans le tome 1 (éditions poche), il ne parle pratiquement jamais de M. Et le livre fait 446 pages!

Mais il raconte comment un tir de revolver raté change son regard sur la vie, comment Zorro et James Bond enjoignent les hommes à être des aventuriers ténébreux (et les femmes à attendre les justiciers qui n’ont pas le temps de s’attacher), comment le premier film vu modifie son rapport au monde…

Il prouve bien l’immense puissance des mots, du langage.

Finalement son sujet (M) n’est qu’un prétexte pour écrire, pour scanner notre époque (et sa pop culture), ses maux, son agitation. Le tout doublé d’une puissante réflexion sur ce que c’est d’écrire, ce que ça questionne, ce que ça demande, ce que les mots veulent dire.

En rendant passionnant tout ce qu’il raconte, il prouve bien l’immense puissance des mots, du langage.

Rarement un auteur m’aura autant fait rire. Ses obsessions, ses dégouts, ses haines, ses rejets, il les sublime et leur donne une dimension comique, rafraichissante.

Tout est jeu pour lui, tout est matière à jouer, sans esprit de sérieux.

C’est qu’il se méfie de la littérature avec un grand L, du sujet avec un grand S, de l’étalage d’intelligence qui écrase les lecteur·ices.

Ce qu’il veut, c’est écrire pour tout le monde, des livres qui se veulent simples et accessibles tout en étant profond. Sans nous surplomber ni nous prendre pour des idiots. C’est tout ce dont je suis friand en littérature.

À l’heure de la glorification des livres courts et «à l’os», lui, propose des livres énormes et généreux. Et si la littérature encense souvent la retenue et la pudeur, lui s’étale dans une langue gourmande, chargée et (parfois) lyrique, qui n’a pas peur de parler de sentiments. Il ose parler d’amour, célébrer le coup de foudre et le romantisme, sans craindre le gnangnan ou le too much, mais plutôt en l’embrassant (de tout son être). Ça fait un bien fou.

Grand merci l’artiste. Poil au pénis.  

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Pour aller plus loin:

La page de Grégoire Bouillier sur la site de Flammarion.

Une interview de Grégoire Bouillier dans “Affaires culturelles” sur France Culture.


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