Beoogneere, l’espoir de la Savane
Au large19 novembre 2022 | Lecture 4 min.
L’idée émerge de la situation du confinement. Enfermé chez lui, Paul P. Zoungrana se rend compte que le contenu télévisuel proposé à ses enfants provient uniquement de l’étranger et s’interroge sur la possibilité d’identification et d’appropriation de ces histoires et figures: dans quels personnages ses enfants peuvent-ils se reconnaitre? Dans quels récits peuvent-ils se plonger pour se construire et appréhender leur environnement présent et à venir? En réponse à ces questions, le metteur en scène décide pour la première fois d’investir le théâtre jeune public afin de proposer des histoires et modèles ancrés dans le contexte africain actuel. Il écrit et monte Beoogneere, l’espoir de la Savane, spectacle qui invite les enfants à suivre les aventures de Beoogneere, l’enfant qui a pour lourde tâche de sauver son village et de ramener la paix au Burkina Faso. Le spectacle amène sur le plateau des termes et problématiques qui font partie du quotidien de tous les Burkinabè pour les adresser spécifiquement aux enfants: le terrorisme, les personnes déplacées internes (PDI), les Volontaires de la défense de la patrie (VDP), les héros nationaux (Thomas Sankara, Norbert Zongo, etc.).
Pour atteindre ces ambitions éthiques, il se donne des moyens formels inédits: dans un contexte où très peu d’initiatives théâtrales sont développées en faveur du jeune public, il crée un spectacle jeune public avec une distribution importante, une scénographie impressionnante, une mise en scène qui mêle musique, danse, cirque, marionnettes et théâtre. Autrement dit, des moyens qu’actuellement on n’observe pas dans le théâtre burkinabè.
Le spectacle ose également le passage transdisciplinaire en sautant le pas du théâtre au cinéma et, peut-être même, plus tard, en se dirigeant vers le dessin animé. Porté par la compagnie «Arts en Intersection» en collaboration avec l’Institut Imagine dans le cadre d’une initiative intitulée «Horizon Théâtre Cinéma», Beoogneere, l’espoir de la Savane est initialement composé de trois aventures de Beoogneere. Chaque aventure, une fois filmée, constitue un épisode d’une série pour laquelle le metteur en scène rêve d’un total de trente épisodes.
Les spectateurs ont ainsi pu découvrir au cinéma le film résultant des trois premiers épisodes. Grâce à cette diffusion plus large, un nouveau public est touché, peu habitué aux salles de théâtres. Il s’agit aussi de tenter d’atteindre une certaine autonomie financière et de fonctionner autant que possible en autogestion: les recettes des films devraient servir à financer la production des nouveaux épisodes de façon à enrichir ainsi progressivement la série.
En amenant aujourd’hui le spectacle au CENASA, c’est un pas supplémentaire qui est effectué par l’équipe dans sa démarche de renouvellement du public et du fonctionnement économique du théâtre. En effet, bien qu’il s’agisse de la salle nationale, le CENASA n’accueille pas de théâtre: la salle est, en effet, peu adaptée et sa location trop chère pour les compagnies.
Pourtant, quand ce sont des humoristes qui l’investissent, elle se remplit facilement. En proposant de jouer dans cet espace, les artistes sont donc confrontés à un défi technique car ils doivent adapter la scénographie, la mise en scène et le jeu. Le défi est également financier: alors que le spectacle a été joué pour 1000 fcfa à Grâce Théâtre et, récemment, aux Récréâtrales, il est fixé à 5000 francs CFA au CENASA. Par ce déplacement, l’équipe espère jouer de l’effet du cadre pour attirer un public qui boude les espaces démunis des théâtres ouagalais (théâtres à ciel ouvert, gradins en bois). Si le spectacle s’adresse donc ici à un public plus bourgeois, rappelons qu’il a été également gratuitement joué dans un grand nombre d’écoles à Ouagadougou. Investissant différents lieux et différents médias, c’est la sensibilisation du plus grand nombre d’enfants, toutes classes sociales confondues, qui est visée.