RECHERCHER SUR LA POINTE :

Les nouvelles plumes de la poésie belge, à travers le regard sensible de Raïssa Ay Mbilo.
épisode 3/3
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Aurélien Dony ©Paul Jacobs

Dandy-Troubadour

En chantier

épisode 3/3

Je retrouve Aurélien Dony dans un café du centre de Bruxelles. On s’est rencontrés récemment et depuis j’ai l’impression de le voir partout: l’homme est prolifique. À la fois poète et metteur en scène, il a signé une œuvre que j’ai adorée: La Plaine.
L’artiste considère que la poésie est un acte politique en cela qu’elle pousse instantanément à faire un pas de côté, elle réinvente notre rapport à la langue et propose une révolution esthétique. J’ai vu La Plaine sur scène et je suis ravie d’avoir mis la main sur sa version imprimée.

©Paul Jacobs

La Plaine est parue sous la forme d’un Bookleg, les désormais célèbres feuillets à 3€ édités chez Maelström et «Pensées comme des carnets d’opéra». Mais à l’origine, la forme est d’abord destinée à l’oralité, les écrits laissent simplement une trace de l’expérience vécue. Pour cette création, Aurélien Dony réunit les plumes qui traduisent le plus ce qu’il aime dans la poésie belge francophone: la puissance lyrique, l’urgence de dire, la force politique.

«Au départ, je pensais à l’écrire tout seul, et puis je trouvais que ça n’avait pas beaucoup de sens d’imaginer un territoire sans le faire avec des personnes qui me permettent de respirer dans ce monde qui est parfois terriblement asphyxiant. Et c’est comme ça que j’ai pensé à Lisette Lombé, Laurence Vielle, Jérémy Tholomé, Maud Joiret, Marc Dugardin, Jean D’Amérique, Mel Moya et Camille Pier. Ce sont des personnes dont la poésie me permet, au moment où je me sens le plus en creux, de me dire qu’il y a quelque chose de possible.»

La Plaine est donc un espace imaginaire qui vibre grâce à la polyphonie de plusieurs plumes. L’univers quant à lui, me paraît totalement singulier: pour moi, Aurélien Dony propose des capsules hybrides et hors du temps qui stimulent nos sens et l’imaginaire en évoquant plus qu’en traduisant.

Aurélien Dony propose des capsules hybrides et hors du temps qui stimulent nos sens et l’imaginaire…

À travers un fabuleux travail de lumière et une composition qui transporte, il parvient à parfaitement inviter la poésie au plateau. La nature y est très présente. «La Plaine» est un ovni, une partition à la fois poétique, chorégraphique et musicale; qui, à l’instar de «L’oeil du cerf» (une autre de ses créations, présentée au Théâtre de la Vie en 2023) est teintée du puissant lyrisme du jeune auteur.

À travers un fabuleux travail de lumière et une composition qui transporte, il parvient à parfaitement inviter la poésie au plateau. La nature y est très présente. La plaine est un ovni, une partition à la fois poétique, chorégraphique et musicale; qui, à l’instar de «L’oeil du cerf» (une autre de ses créations, présentée au Théâtre de la Vie en 2023) est teintée du puissant lyrisme du jeune auteur.

On ne se dit pas qu’on reviendra et on ne s’est pas aperçu qu’on y pénétrait
on a juste senti, plutôt crever que d’y rester
l’endroit où les dieux ont décidé que c’était juste un bout d’essai, ce paysage

J’apprends avec étonnement que c’est la poésie qui mène le jeune auteur au théâtre. Il écrit très jeune, nourri par des poètes plutôt classiques, comme l’auteur belge Jacques Crickillon, et décide d’entrer au Conservatoire Royal:

J’écris pour un corps

«J’avais une poésie qui était, en tout cas au départ, très livresque. J’ai toujours aimé dire ou chanter, par exemple, mais je ne considérais pas que la poésie était forcément performative ou à performer (…) une fois que je suis entré dans un cursus d’art dramatique, je me suis rendu compte de ce que c’était qu’une langue faite pour des corps, par exemple. J’écris pour un corps, ça n’a strictement rien à voir avec le fait d’écrire pour une page.»

Déjà très attentif à la déclamation, son rapport à la poésie évolue au contact d’auteur·ices comme Laurence Vielle, dont l’artiste admire la façon de dire et habiter les mots. C’est un peu une révélation pour Aurélien Dony qui s’intéresse de plus en plus à la question du souffle; de la respiration et de la corporalité.

«Laurence Vielle a été le premier coup de poing: j’ai aimé l’entendre avec une oralité des textes qui était écrit pour être dits, qui agitait son corps, qui déployait une voix une énergie et je n’ai jamais pu écrire de la même manière après. Il y a eu aussi Antoine Mouton un autre poète français et romancier que j’adore (…) Camille Pier et Jérémy Tholomé, sont des noms qui m’ont marqué parce que leur travail est tourné vers l’oralité avec une grande exigence dans le travail de la langue, de l’inventivité et du décloisonnement de celle-ci.»

Dit celui qui cite comme source d’inspiration autant ses compagnons de plume que d’autres auteur·ices contemporain·es ou non: Ascanio Celestini, Céline Delbecq ou encore Rimbaud.

Comme pour les mots, le metteur en scène, laisse une place importante au mouvement dans sa création. Assise dans les sièges de la Maison Poème, j’admire la chorégraphie de Charly Simon accompagné par Benjamin Gisaro. Les corps dansent avec les mots, sous la mélodie parfois veloutée de Céline Chapuis et Jérôme Paque.

Avec cette création et la publication qui l’accompagne, Aurélien Dony s’inscrit dans une habitude qui fait aussi l’identité du petit milieu poétique francophone: fédérer autour d’un projet commun, faire corps.

Aurélien Dony ©Laurent Poma

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