Quand la musique enterre le bruit des bombes
Au large21 mars 2022 | Lecture 10 min.
En Ouganda, de jeunes réfugiés sud-soudanais répondent au fracas de la guerre civile en faisant du hip-hop, ne laissant jamais les affres du quotidien miner leur volonté de créer.
Texte Jean-Baptiste Hervé
Photos Renaud Philippe
Son Benoît Plante
Dès le départ, c’est la musique qui a pris le dessus. Je connaissais le destin du Soudan du Sud, le plus jeune État du monde, qui avait déclaré son indépendance le 9 juillet 2011, puis s’était embourbé dans une guerre civile qui avait fait des milliers de morts et des millions de déplacés. Plus tard, j’ai découvert l’existence de camps disséminés aux quatre coins de l’Ouganda, certains parmi les plus fréquentés au monde, d’autres aux tailles plus modestes, tous peuplées de Soudanais du Sud ayant fui la guerre civile.
Le photographe documentaire Renaud Philippe m’avait mis sur la piste de ce pays qui l’avait tant bouleversé quelques années auparavant. La décision était prise: nous irions ensemble au camp de Kiryandongo, pour passer deux semaines en compagnie d’un collectif de rappeurs, Les Street Boyz.
Koko De Best, Taidor et leur bande nous laisseront entrer dans leur vie: boire du thé dans un petit café avec un toit en tôle sous la pluie tropicale du mois de mai, les entendre improviser sur des instrumentaux de Madlib en langue nouère, regarder la finale de la coupe des Champions sur une télévision alimentée en électricité par un groupe électrogène, enregistrer des ensembles gospels dans une Église presbytérienne. Ce sont des évènements que nous avons consignés, photographiés et enregistrés pour qu’ils soient vus et entendus par le plus grand nombre. Cette incursion dans la vie de cette bande de jeunes dans un camp de réfugiés est un rappel que la musique est plus forte et que le désir de créer vient souvent sublimer tout sur son passage.
Nous sommes en 2019, au camp de Kiryandongo. Originaires du Soudan-du-Sud, les Street Boyz sont arrivés ici quelques années plus tôt avec leurs familles et ont vite trouvé dans le rap un espace d’expression essentiel. Devant l’abri où T-Chris vit avec sa famille, le collectif prend la pose.
Retour en arrière, nous voici en 2017 au Soudan du Sud. Le camp de déplacés de Bentiu compte la deuxième plus grosse population au pays, après Juba, la capitale. Gardé par des Casques bleus de la mission UNMISS, il était à l’origine une base de l’ONU prise d’assaut par des milliers de Sud-Soudanais fuyant les combats. Trouvant un semblant de sécurité, ils y sont restés. Les abris du camp de Bentiu devaient être temporaires, mais certaines familles s’y entassent depuis plusieurs années.
1,7 million de Sud-Soudanais ont fui vers les pays voisins, dont l’Ouganda, et 2 millions se sont déplacés à l’intérieur même du pays pour trouver refuge dans des camps gérés par l’ONU où ils trouvent un semblant de sécurité, comme ici à Bentiu. Les enfants représentent 62 % des personnes déracinées, selon les chiffres les plus récents des Nations unies.
En attente d’une distribution alimentaire. Seules les personnes enregistrées ont droit à la distribution. Celles qui reçoivent des rations partageront donc leur part avec leurs familles, rendant l’apport alimentaire encore plus mince.
Nous revoici en Ouganda. Sur le million installé en Ouganda, près de 60 000 personnes vivent au camp de Kiryandongo, en attendant le jour où la paix reviendra au Soudan du Sud.
T-Chris et Koko Debest forment le cœur des Street Boys. Le premier est parti du Soudan du Sud en 2014 alors que la guerre civile venait d’éclater. Il est influencé par Emmanuel Jal, un ancien enfant soldat devenu rappeur et aujourd’hui connu internationalement. Quant à lui, Koko Debest a passé la majeure partie de sa vie dans les camps de réfugiés en Éthiopie, au Kenya et en Ouganda. Il est influencé par Tupac pour le flow et le style.
On les voit ici enregistrer une nouvelle chanson des Street Boyz à Turf Recordz, le studio de Bweyale, petite ville voisine du camp.
Vidéoclips et chansons des Street Boyz.
Une camionnette sur laquelle sont installés une génératrice et d’immenses haut-parleurs parcourt les chemins de terre du camp pour inviter la population à participer au concert donné ce jour-là par les Street Boyz.
Jour de concert au camp de Kiryandongo, organisé par Les Street Boyz. Ces spectateurs attentifs découvrent une nouvelle création du collectif. Leurs chansons traitent surtout d’amour, d’amitié, et du désir de se réunir et de faire la paix.
Les Street Boyz se sont formés en 2016 au camp de Kakuma au Kenya. Ce camp, l’un des plus peuplé d’Afrique est célèbre, car il s’est formé expressément pour accueillir ceux que l’on dénomme les « Lost Boys of Sudan » dès 1992.
Les autorités ont hésité avant d’accorder le permis de se réunir nécessaire pour tenir l’évènement.
La musique apaise les tensions, qui demeurent vives entre les diverses communautés du camp. Des centaines d’enfants et de curieux sont venus profiter d’une rare journée d’animation.
« Nous ne sommes pas des rebelles, nous sommes des combattants de la liberté. », dit ce jeune milicien sud-soudanais de l’opposition, qui se cache dans ce camp de réfugiés en Ouganda.
Scène de vie quotidienne dans le camp de réfugiés de Kiryandongo. La musique résonne à chaque instant dans le camp. Écoles, cérémonies religieuses, événements en tout genre, elle est omniprésente et ponctue la vie quotidienne des réfugiés.
Un enfant observe à travers la fenêtre d’une église adventiste d’autres enfants qui chantent des airs religieux. Plusieurs Églises cohabitent dans le camp, les adventistes du septième jour se réfèrent à la doctrine de la deuxième venue de Jésus-Christ, aussi appelée « le retour du Christ ».
« Pardon. Pouvez-vous nous amener dans votre pays pour étudier ? »
Ces deux frères, comme beaucoup d’enfants qui ont dû fuir la guerre civile au Soudan du Sud, ont tout perdu. Après avoir vu leurs parents mourir, après avoir fui le chaos, ils vivent maintenant dans le camp de Kiryandongo en Ouganda, dans un orphelinat non officiel géré par des membres de la communauté. Ils sont 2,2 millions à avoir fui le conflit qui fait rage au Soudan du Sud depuis 2013.
Scène de liesse pour la finale de la Coupe des Champions 2019 opposant Tottenham à Liverpool.
Nous nous rendons de nuit dans le camp de réfugiés pour aller voir la finale de la Coupe des Champions 2019. Lorsque nous arrivons sur les lieux l’ambiance est électrique, plusieurs centaines de personnes sont réunies et encouragent l’une ou l’autre des équipes. Un grand écran est allumé pour tous, alimenté par un groupe électrogène hyper bruyant.
Une chorale entonne des chants religieux très puissants. La musique religieuse est forte et libératrice, les chants entonnés ici résonnent encore dans ma poitrine.
Une clinique de natalité dans le camp de réfugiés.
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