RECHERCHER SUR LA POINTE :

Les nouvelles plumes de la poésie belge, à travers le regard sensible de Raïssa Ay Mbilo.
épisode 2/2
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Mel Moya ©Marine Rigo

La Callas du slam belge

En chantier

épisode 2/2

La première chose qui m’a frappée chez Mel, ce sont bien sûr ses nombreux et impressionnants tatouages. Mel Moya est un tableau vivant, mouvant, vibrant dont l’allure de rappeuse tranchante est contrebalancée par une douceur extrême dans les gestes et dans la voix et dans son rapport aux autres, de manière générale. Sur scène, elle me fait penser à Maria Callas: elle devient une cantatrice a capella. Tatillonne sur l’esthétique, travailleuse exigeante, son talent n’a d’égal que sa droiture et sa générosité. J’ai lu son premier recueil, Mater Dolorosa (L’Arbre de Diane), et j’ai eu envie d’en parler un peu plus avec son autrice.

On aborde évidemment d’abord la région où elle a grandi: Mel affectionne particulièrement Liège. Elle me parle de Seraing, avec un brin de nostalgie. On vagabonde un peu dans ses souvenirs: les rues et les quartiers de cette ville du bassin sidérurgique, melting-pot de personnes aux origines différentes – elle-même est d’ascendance italo-espagnole.
Mel y a été enfant, ado, jeune maman avant de migrer vers Liège puis d’y revenir. Ces paysages l’accompagnent et on les sent fort dans ses textes aussi. Des textes puissants, rythmés dans lesquels les consonnes caracolent.

Il y est beaucoup question d’Italie, d’une Italie déracinée qui survit à travers la nonna. Celle à qui la terre natale manque tant, qui découvre une Belgique grise où les Italiens sont interdits à certains endroits comme l’indiquent quelques écriteaux: «Chiens admis, Italiens dehors».

Mel Moya ©Marine Rigo

Plat pays,
Gris, brique rouge
Nuit éternelle
Elle aimait me rappeler
Là-bas

À Seraing, Mel vit en clan, en famille, avec la ribambelle de cousins et cousines côté paternel. Si la slameuse écrit depuis presque toujours, ce sont deux ruptures qui viennent déclencher l’urgence de dire. Cette nécessité de mettre des mots sur les émotions vives est le moteur du slam. Les mots jaillissent, dénoncent; ils parlent autant de militance que d’amour ou d’absence d’amour. Dans Mater Dolorosa, l’artiste aborde beaucoup la violence.
La violence intrafamiliale notamment, les secrets de famille, les viols, l’inceste.

C’est à 33 ans qu’elle découvre la Sicile pour la première fois. Ce voyage, c’est aussi une manière de comprendre les siens, d’exorciser une histoire familiale douloureuse.

«Autant l’histoire de ma famille était douloureuse, autant je ne pouvais pas continuer à ne pas savoir d’où je venais. Il y avait une histoire derrière toute cette douleur. Toute ma vie, j’ai eu une image négative et sale des Siciliens, je ne pouvais pas les voir mais c’était lié à mon histoire personnelle. Quand j’y suis allée [en Sicile], j’ai été surprise de me sentir si vite chez moi. J’ai rencontré des personnes qui, certes, avaient un gros caractère mais aussi beaucoup d’amour à donner. Je me suis rendu compte que dans ma famille, il y avait des similitudes culturelles, la tradition etc. mais que j’étais passée à côté d’un truc: que cet amour-là m’avait manqué».

À l’origine, le recueil, une carte blanche à l’invitation de Mélanie Godin[1][1] Directrice des Midis de la Poésie, éditrice de l’Arbre de Diane, se voulait militant. Mais ce premier voyage sur les terres italiennes change la donne en faisant émerger d’autres besoins, comme celui d’écrire sur des choses que l’autrice n’avait jamais osé dire. Dans les rues de Palerme, grâce aux odeurs, à la langue et aux chants, c’est une réconciliation qui s’opère. Un désir d’exorciser l’héritage de la violence pour tourner la page.

«Je me mettais à écrire de 9h jusqu’à 15h, je ne faisais que ça sans m’arrêter. Et il fallait que ça sorte. Et en réalité, c’est ça qui est sorti le plus fort. Donc je me suis dit que quelque part, c’était une manière de m’en débarrasser à l’intérieur. Voilà, c’était écrit, c’était dit, on pouvait passer à autre chose».

La nuit
On doit chasser les fantômes
À coup de colt, bras portant
Abattre les voleurs de corps
(…)

Ce recueil est le pied-de-nez d’une femme issue d’un milieu populaire, qui parlait comme «une poissonnière de Seraing» et manie aujourd’hui si joliment la langue. Sa poésie pique et touche, toute en images et en sons. Le français se mêle au sicilien, ces mêmes mots ramenés dans leurs bagages par des grands-parents ayant fui la famine, conservés et transmis tels quels. C’est un hommage à celles qui se fanent dans leurs foyers, un portrait lucide des origines, qu’elles soient sociales ou géographiques. Mater Dolorosa, c’est un condensé de sensibilité, à la fois brut et délicat, dur et léger. On y mêle la souffrance et l’espoir avec des pointes d’humour. Sans faux-semblant, sans langue de bois. Comme le dit Mel Moya, elle n’enrobe rien.

Vous pouvez vous procurer Mater Dolorosa auprès de sa maison d’édition, L’Arbre de Diane.


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