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«The Ballad of Genesis and Lady Jaye» de Marie Losier. ©DR.

Le cinéma bricolé de Marie Losier

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Grâce à la Cinematek et au Centre du Film sur l’Art, j’ai eu la chance de rencontrer la cinéaste Marie Losier, qui développe depuis plus de vingt ans un travail atypique autour de collages d’images et de sons, mêlant librement la réalité et la fiction, l’improvisation et la mise en scène. Ces films sont de délicieux objets non identifiés, profondément touchants et drôles. Une joyeuse ode à la vie.

Le texte qui suit a été rédigé à la suite de notre conversation du samedi 23 avril 2022, sous forme d’une adresse directe à la cinéaste. Vous trouverez aussi en «bonus» à la fin de l’article deux extraits sonores.

Chère Marie,

Merci de m’avoir si gentiment reçue samedi dernier. Je tente ici une petite synthèse de notre conversation, j’espère qu’elle reflète bien vos mots.

Vous venez de la campagne, d’un petit village dans les Yvelines, pas loin de Paris. Vous habitez aujourd’hui à Paris, après avoir vécu 24 ans à New York.

Vous étiez partie toute jeune aux États-Unis dans le cadre d’une bourse d’échange…

La transition entre les deux villes, les deux continents, ne fut pas chose aisée. Vous étiez partie toute jeune aux États-Unis dans le cadre d’une bourse d’échange, pendant vos études de littérature américaine. Vous étiez déjà passionnée de cinéma, mais encore loin de concevoir la possibilité d’en faire votre métier. Vous n’avez pas ce qu’on pourrait appeler un parcours « classique ».

À New York, vous avez fait mille métiers, dont la direction de programmation cinéma à l’Alliance française et la décoratrice-accessoiriste pour le mythique metteur en scène de théâtre Richard Foreman, alors que « vous ne saviez rien faire » (ce sont vos mots). Mais Richard Foreman vous a fait confiance, et il vous a engagé sur The Ontological cowboy, dont vous avez tiré un film plus tard. Cette expérience vous a beaucoup marquée, et vous avez appris toutes sortes de choses à ses côtés, comme le découpage et la manipulation du son, de la lumière, et même du travail avec les acteurs (Juliana Francis et Tony Tom), qui sont devenus des alliés. Vous avez aussi beaucoup fréquenté le milieu du théâtre underground qui était très lié au cinéma et à différents médiums, comme la peinture, la poésie, la musique, et vous avez observé la façon dont tout cela pouvait devenir des films. Il y avait dans ce milieu beaucoup d’entraide et de collaboration, des œuvres se fabriquaient sans économie mais avec beaucoup de générosité. C’était une façon de faire artisanale, qui vous a permis de vous lancer sans trop réfléchir à ce que vous étiez en train de faire.

Un amoureux cinéaste vous a offert, comme cadeau de séparation, une bolex, qui est la caméra que vous utilisez encore aujourd’hui pour réaliser vos films.

Ça vous a forcé à penser le cinéma différemment.

C’est une petite caméra 16mm qui pèse deux kilos et demi, qui est donc adaptée à votre frêle gabarit, qui n’enregistre pas le son et qui prend des pellicules de 3 minutes sur laquelle il faut recharger le moteur à la main par une manivelle toutes les 25 secondes; filmer un long mouvement continu est donc impossible. Ça vous a forcé à penser le cinéma différemment parce qu’il faut concevoir l’univers sonore séparément; or l’environnement et le montage sonore sont précisément extrêmement importants pour vous, surtout que vous avez filmé beaucoup de musiciens.

Vous passez beaucoup de temps avec les êtres que vous filmez; vous enregistrez leurs histoires, mais aussi les bruits, les sons qui les environnent et qui appartiennent pleinement à leurs mondes. De toute cette matière, vous faites un collage, qui vous semble presque de la couture! Quand vous filmez, ce sont des moments précieux, ressentis profondément (surtout vu le prix de la pellicule…). Le fait que vous ne voyez pas ce que vous filmez rend le tournage très physique, laisse planer une aura mystérieuse qui donne toute sa magie au cinéma. Vous dites aussi que la pellicule est proche de la peinture, de la matière organique, que vous développiez à la main au début, debout sur un steenbeck où vous coupiez et colliez les pellicules comme s’il s’agissait de peinture en mouvement, sur laquelle vous pouviez ajouter du son, gratter, peindre…

Félix in wonderland (2020) de Marie Losier. Trailer.

Vous aimez les artistes, qui deviennent des personnages lors des tournages des portraits, et qui sont tout le temps dans l’action, la création, la construction. Vous avez avec eux une relation amicale et vous filmez très naturellement. Il y a entre vous un désir mutuel de créer quelque chose ensemble. De trouver au quotidien quelques imaginaires de tableaux vivants, de mettre en scène certains processus de création. Ce sont des gens libres, intenses, et souvent en marge de la société. Il y a chez eux quelque chose de l’ordre de l’expérimentation et de la confrontation à la matière constante. Des guerriers, qui deviennent des héros, vos héros de cinéma.

Cassandro the Exotico ! (2018) de Marie Losier. Trailer.

Aujourd’hui, vous vivez à Paris, vos films commencent à être produits. Depuis que vous avez quitté New York, vos films sont enfin un peu connus là-bas. Vous avez même été invitée à faire une rétrospective au MOMA à New York en 2018, ce qui vous a beaucoup ému.

Vous avez récemment rencontré cette femme merveilleuse qui est Anne Barrault, qui tient une galerie à Paris, où votre travail est exposé. Ça vous permet d’expérimenter d’autres médiums.

Chère Marie, j’ai cru comprendre que vous aimiez Bruxelles et la Belgique en particulier. J’espère que vous reviendrez vite! à bientôt!

Sur l’Europe. Extrait d’une conversation avec Marie Losier.
Le rêve américain. Extrait d’une conversation avec Marie Losier.

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