
Maman Colonelle
Émois25 mai 2025 | Lecture 4 min.
Alors qu’elle travaille depuis 15 ans à Bukavu, à l’est de la RDC, elle apprend qu’elle est mutée à Kisangani. Sur place elle se trouve face à de nouveaux enjeux.
À travers le portrait de cette femme d’un courage et d’une ténacité hors du commun qui lutte pour que justice soit faite, le film aborde la question des violences faites aux femmes et aux enfants en RDC.
Ce documentaire réalisé par Dieudo Hamadi était projeté à la soirée de soutien aux victimes de la guerre en RDC, organisée par le collectif Together for Congo à La Balsamine le 21 mai dernier. Le texte qui suit a été écrit et lu juste avant la projection par Gloria Mukolo.
___
Il y a des guerres qu’on raconte.
Celles qui ont des dates précises, des vainqueurs, des monuments.
Et puis, il y a les autres.
Les guerres qu’on tait.
Les conflits relégués aux marges de l’histoire.
Les douleurs sans drapeaux. Les cicatrices qui n’ont même pas droit à une ligne dans les manuels scolaires.
La République démocratique du Congo en porte beaucoup, de ces silences-là.
Et au milieu de ces oublis… il y a des gens.
Des vrais. Des vivants. Des traumatisés.
Des femmes violées. Des enfants devenus adultes trop tôt.
Des hommes perdus…
Et puis, il y a elle.
Maman Colonelle.
Quand j’ai entendu ce nom pour la première fois, j’ai souri.
Un de ces sourires un peu étonnés, presque nerveux.
Parce que ce sont deux mots qu’on ne pense jamais entendre ensemble.
Maman.
La tendresse, l’intime, le soin, le refuge.
Colonelle.
L’uniforme, le commandement, l’autorité, la guerre.
Mais dans ce film… ces deux mots ne se contredisent pas. Ils se complètent.
Honorine Munyole est une femme de l’ombre qui fait un travail de lumière.
Une femme qui n’a ni studio, ni micro, ni caméra…
Mais qui porte sur ses épaules quelque chose de plus lourd que des galons:
la responsabilité de réparer, tant bien que mal, ce que la guerre a détruit.
Pendant quinze ans, à Bukavu — cette ville où je suis moi-même née — elle a tendu la main.
À celles et ceux que la société ignore.
À celles et ceux qu’on préfère oublier.
Aux enfants, aux femmes violées, aux victimes de cette guerre qu’on évoque trop souvent en termes de «dommages collatéraux» — comme s’ils n’avaient ni nom, ni histoire.
Et puis vient Kisangani.
Une ville que beaucoup ne connaissent que par un nom presque effacé: la guerre des Six Jours.
Juin 2000.
Deux armées étrangères — le Rwanda et l’Ouganda — se disputent le contrôle économique et militaire du territoire congolais.
Ils transforment Kisangani en champ de bataille.
Ils tirent. Pendant six jours.
Une ville civile, bombardée.
Des écoles détruites, des enfants mutilés, des familles décimées.
Et aujourd’hui? Rien.
Pas de justice.
Pas de mémoire officielle.
Seulement des survivants et survivantes. Et leurs silences.
Et c’est là que ce film prend toute sa force.
C’est là que Dieudo Hamadi entre en scène.
Cinéaste congolais, né à Kisangani.
Il connaît cette terre. Il connaît sa douleur. Il connaît cette mémoire qu’on a trop souvent effacée.
Mais il ne vient pas faire un film sur la guerre.
Il vient filmer ce qu’elle laisse derrière elle.
Il capte les regards, les corps fatigués, les luttes invisibles.
Il pose sa caméra là où la parole hésite. Et surtout, il filme cette femme qui ne sauve pas le monde — mais qui
refuse de l’abandonner.
Le cinéma de Dieudo Hamadi, c’est un cinéma du réel.
Mais pas un réel froid ou distant.
C’est un cinéma au cœur du battement humain, là où les politiques n’arrivent pas, là où les journalistes ne vont
plus.
C’est un cinéma qui donne la parole aux survivants, sans les réduire à leurs blessures.
Un cinéma qui filme l’invisible: la honte, la résilience, la dignité.
Maman Colonelle n’est pas un documentaire à regarder passivement.
C’est un cri doux, une main tendue.
C’est une question posée à nous tous:
Que faisons-nous de la douleur des autres?
Et surtout: combien de femmes comme Honorine faut-il pour réparer un pays tout entier?
Je vous invite à regarder ce film non pas avec distance, mais avec courage.
À écouter ces voix qui nous parviennent, non pas d’un lointain pays, mais du centre brûlant de l’humanité.
Ce que vous allez voir est réel.
Et ce qui est réel peut — peut-être — encore être transformé.

___
Maman colonelle
Un film de Dieudo Hamadi
Produit par Cinédoc Films (France) et Mutotu Productions (RDC)
72 minutes, version française
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