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«Peace for all Nations», utilisé par le Berliner Ensemble en 1954. ©DR.

L’art n’a pas de couleur

Au large

Cet article a été publié il y a un mois (le 27 fév.2022) dans la revue italienne «theatronduepuntozero». Nous l’avons traduit et le republions aujourd’hui car il nous semble important de soutenir les artistes et les acteur·ices du secteur culturel de toutes origines, qui dénoncent haut et fort les atrocités de la guerre.

La colombe de la paix dessinée par Pablo Picasso et insérée par Bertolt Brecht dans le logo du Berliner Ensemble a été ajoutée depuis hier au logo du Théâtre d’Art de Moscou, du Gogol Center, du Théâtre Aleksandrinskij de Saint-Petersbourg et de tant d’autres théâtres russes. C’est l’un des nombreux signes de dissidence du théâtre russe par rapport à l’opération militaire en Ukraine.

 Avant le déclenchement du conflit, des appels et des signatures avaient mobilisé le monde de la culture; jeudi 24 février (le jour de l’invasion), des directeur·ices de grands théâtres russes ont décidé d’inaugurer une nouvelle phase de protestations, démissionnant brutalement de leurs postes.

On ne peut pas travailler pour un killer et se faire payer par lui.

Elena Kovaskaya, directrice du Théâtre national et du centre culturel Vsevolod Mejerchold de Moscou l’a annoncé à 10h20 du matin dans un post très dur sur Facebook: «En signe de protestation contre l’invasion russe de l’Ukraine, je démissionne de mon poste de directrice (…) On ne peut pas travailler pour un killer et se faire payer par lui.» Le jour suivant, elle est suivie par Mindaugas Karbauskis, directeur du Théâtre Majakovski, qui, toujours sur le même réseau social, écrit: «Je pars moi aussi!»

Le même jour, Rimas Tuminas, célèbre réalisateur letton et directeur du Théâtre Vachtangov de Moscou, publie un message sur le site Internet du théâtre où il déclare sans ambages: «Je veux exprimer mon inquiétude et mon désaccord sur ce qui est en train d’arriver.»

Le triomphe de la pensée de Tolstoï est d’apprendre à aimer la vie. C’est ce qui nous reste.

De plus, il indique que dans le spectacle Guerre et Paix, mis en scène en décembre dernier, se trouve la meilleure réponse à la situation actuelle: «C’est devenu notre bannière, la foi dans l’humanité, la condamnation et la haine envers la guerre, envers la mort. Le triomphe de la pensée de Tolstoï est d’apprendre à aimer la vie. C’est ce qui nous reste. Cela exclut n’importe quel conflit – national, international, etc. Que cet amour pour la vie nous accompagne jusqu’à la fin de nos jours.»

Des signaux de protestations arrivent aussi du monde de la danse: le 25 février, le célébrissime Théâtre Bolshoi se voit contraint d’annoncer que le très attendu spectacle L’Art de la fugue, avec les chorégraphies d’Alexei Ratmansky, est reporté à une date ultérieure «à cause des événement actuels» a déclaré le chorégraphe, toujours sur le réseau social.

Aucun conflit ne peut se résoudre, au XXIᵉ siècle, avec des chars armés, de l’artillerie lourde et des troupes militaires.

En même temps, Marina Davydova, directrice du magazine online «otetre.info» qui, l’année dernière déjà, avait dénoncé sur «Il Manifesto» les tentatives d’ingérences du pouvoir politique sur les institutions théâtrales russes, a demandé à différentes personnalités de la culture et du spectacle russe de signer un appel contre la guerre et en solidarité avec le peuple ukrainien: «Nous pensons qu’aucun conflit ne peut se résoudre, au XXIᵉ siècle, avec des chars armés, de l’artillerie lourde et des troupes militaires. Nous voulons arrêter immédiatement ce bain de sang!». En moins de 3 jours, le texte a recueilli plus de 700 signatures.

La protestation se répand même dans les universités. L’association des chercheurs russophones sur Shakespeare a publié un texte de désaccord le jour même de l’invasion: «Nous, chercheurs sur Shakespeare de langue russe et représentants d’autres spécialités liées à la théorie et à la pratique du théâtre et de la culture shakespearienne de l’ère élisabéthaine, comptant sur le fait que l’objet de notre recherche est le travail d’un artiste qui incarne la totalité des valeurs humanistes, dont la monstrueuse violation est la guerre, en particulier la guerre fratricide, nous exprimons notre solidarité envers l’Ukraine et nos collègues ukrainiens (…) et nous souhaitons la cessation immédiate du massacre et le retour au processus de négociation.»

Certains sites russes parlent, en outre, d’acteur·ices et de réalisateur·ices arrêtés par les autorités durant les manifestations pacifistes à Saint-Petersbourg. L’actrice et dramaturge Ekaterina Avgustenyak, dans l’après-midi du dimanche 27 février, affirme sur Facebook avoir été arrêtée.

Dans la confusion et la volonté de ne pas laisser s’échapper trop de nouvelles, les sources restent malheureusement difficilement vérifiables. L’information est une guerre parallèle, que les personnalités du monde du spectacle essaient désespérément de combattre à travers de nouveaux canaux et de vieilles convictions, comme l’opposition ferme à la guerre qui, de Berlin à Moscou, de Bertolt Brecht à Elena Kovaskaya, unit le peuple secret du théâtre.

Traduit de l’italien par Laurence Van Goethem.

Lire l’article original ici.

NB : Le titre est de la rédaction.

Pour aider à comprendre le conflit et ce qui se passe en Ukraine, nous conseillons la lecture du fil Facebook du grand traducteur du russe André Markowicz et le compte Instagram de l’artiste ukrainien nikita.kadan. (NDLR)