RECHERCHER SUR LA POINTE :

Chaque mois, Nicolas Baudoin vous invite à explorer plusieurs ouvrages édités qui échappent d’une façon ou d’une autre aux rouages de la traditionnelle chaîne du livre. Des littératures actuelles qui s’épanouissent loin des prés carrés.
épisode 3/9
3/9

Le top 3 des BD pour bien pleurer pendant les fêtes

En chantier
Pour ce deuxième épisode, L’achronique se penche sur des bandes dessinées qui dégoulinent des cases. Cœurs fragiles s’abstenir, on y parle de coming out, de solitude, d’amitiés et de passions non-partagées.

épisode 3/9

«En décembre, fais du bois et endors-toi», préconise le dicton. Et c’est mon sentiment qu’en effet, une longue sieste ne serait pas de refus. Avant de plonger dans le sommeil, je vous propose trois livres (toujours hors-la-Charte) à lire au coin du feu. Chacun d’entre eux fait la part belle à l’image, mais aussi à la sensibilité sans tomber dans la sensiblerie. Je vous les présente dans l’ordre chronologique où je les ai rencontrés.

L’amie de mes rêves[1][1] Violette Gorgiard, L’amie de mes rêves, Bruxelles, I Am Fam*us Press, nov. 2023, 66 p., 14€ (100 ex)

Je vais être honnête avec vous. L’autrice, Violette Gorgiard, est mon amie dans la vie. J’ai donc hésité à vous présenter son Amie de mes rêves, une bande dessinée «imprimée, taquée, grecquée, bercée, filée et façonnée» à la sortie de sa résidence aux ateliers du TONER en novembre dernier. Sa lecture m’a persuadé de le faire.

On y suit Abby, une collégienne de 13 ans qui, après des grandes vacances à zoner sur l’ordinateur, s’apprête à vivre une nouvelle rentrée des classes. Ce qui devrait être un événement majeur dans sa petite vie ne lui fait cependant rien ressentir. En effet, celle que sa grande sœur Sarah surnomme «mon Pierrot» a perdu cet été «tout intérêt pour… à peu près tout». Jusqu’à ce que… et je n’en dis pas plus.

Dans cette œuvre hybride qui mêle des techniques graphiques[2][2] Dessins à l’encre, numérique, peinture acrylique… et d’impression[3][3] Risographie et impression laser. différentes, le spleen des jeunes adolescentes est rendu avec une justesse folle. Par «spleen», j’entends cette sensation d’engourdissement, de dé-passion pour le monde, qui suit l’enfance et qui peut carrément se transformer en gouffre dépressif. Malgré ce thème, la tendresse n’est jamais loin, comme en atteste la relation de Pierrot avec sa grande sœur.

Les dessins naïfs et étranges, voire inquiétants, de l’autrice-illustratrice viennent se greffer dans un monde fait de brouillard, de grillage et de pixels. Les dialogues ressemblent plutôt à des monologues qui se croisent et ne se répondent pas. Les couleurs, quand elles percent la grisaille ambiante, restent fortement désaturées. La mise en page surprend, déroute, séduit. C’est un pari réussi, c’est une bande-dessinée à découvrir.

L’amie de mes rêves, novembre 2023. ©DR / Scan: ZLR
L’amie de mes rêves, novembre 2023. ©DR / Scan: ZLR

Miels, numéro 2[4][4] collectif (dir. Gabriel Mafféïs), Miels, une revue collaborative de bandes dessinées LGBTQ+, n°2, Strasbourg, sept. 2023, 60 p., 20€ (250 ex)

On quitte la cour de récré et on entre dans l’âge adulte, avec une petite tare en plus. Dans la revue Miels, dont c’est le deuxième numéro, Gabriel Mafféïs donne la parole aux jeunes auteur·ices LGBT+. Un travail pas si inutile puisqu’iels souffrent d’un déficit de visibilité et que «nos sociétés n’ont (…) pas cessé de considérer (leurs) orientations sexuelles, (leurs) identités de genres et (leurs) droits comme des sujets de débat». Tout est dans tout.

Trouvée lors de mon passage à Paris dans l’excellente librairie Monte-en-l’air[5][5] espace dédié aux fanzines au fond à gauche !, la revue prend un thème idiot[6][6] Les vaches. L’édito de Noémie Chust vous expliquera mieux que moi à quel point le sujet est queer. comme prétexte pour dérouler 10 points de vue, 10 histoires, 10 collaborations de 10 artistes différent·es[7][7] Nygel Panasco, Elsa Klee, Arthur Sevestre, Léo Righini-Fleur, Mirion Malle, Péixe Collardo, Romane Bourdet, Cha Gautier, Joseph Kai et Félix Auvard..

On reste surtout en territoire BD, mais on ne s’interdit pas des petites excursions dans les mots-croisés[8][8] Léo Righini-Fleur, «Les diablesses s’habillent en Prada» et les illustrations de pleine page légendées[9][9] Péixe Collardo, «Parler flou, vivre confus» avec, comme trait d’union, l’impression en risographie particulièrement maîtrisée. On ne s’attendait pas à moins d’ancien·nes étudiant·es de la très réputée HEAR de Strasbourg.

Outre les collaborations de Nygel Panasco et Romane Bourdet que je connais et aime déjà, je suis resté particulièrement ébahi devant les aquarelles délicates et surannées d’Arthur Sevestre. Son récit décrit les débuts de la sexualité d’un jeune garçon «trop timide pour Grindr[10][10] Application de rencontres (surtout) gays, les sexclubs et sauna» qui arpente le Palais-Royal à la recherche d’un premier contact. Chaud-bouillant et magnifiquement illustré.

Miels n°2 (illu. Arthur Sevestre), septembre 2023. ©DR / Scan: ZLR
Miels n°2 (illu. Noémie Chust), septembre 2023. ©DR / Scan: ZLR

Cardmania[11][11] Marcello Caiti, Cardmania, le fanzine à collectionner sur les cartes à collectionner, Bruxelles, déc. 2023, 28 p., 5€

Retour à Bruxelles, ma belle, au marché de Noël. On se trouve plus précisément au Labokube où les autrices-illustratrices Noémie Favart, Camille Van Hoof et Diane Philipovitch organisent un petit[12][12] Une trentaine de participant·es quand même… salon dédié aux créateur·ices bruxelloix·ses juste avant les fêtes.

Là, je retrouve avec plaisir le travail de Marcello Caiti, un étudiant de l’ESA Saint-Luc qui s’amuse beaucoup avec les formats et les sujets de ses bandes-dessinées. Son dernier fanzine en date s’intitule Cardmania. Il vient de sortir du «print-lab» de l’ESA et se présente sous la forme d’un jeu de cartes à collectionner.

Une fois sorti de son écrin[13][13] Le fanzine est scellé dans un «booster» artisanal pour les connaisseur·euses…, le petit fanzine agrafé peut en effet être accompagné d’une carte à collectionner unique et d’autres surprises dessinées à la main… si vous avez de la chance. Ce n’était pas mon cas : le hasard fait mal les choses. J’ai tout de même pris du plaisir à découvrir la passion de Marcello pour les jeux de cartes, d’abord vécue de façon honteuse puis, avec la découverte de Magic, célébrée collectivement.

Pour ceux et celles qui n’y comprendraient rien comme moi, il inventorie les bonheurs secrets que lui procure cette activité :«Crier des noms de monstres absurdes, ressentir une boule au ventre sur le lancer d’une pièce, trouver une faille dans les règles et en profiter comme si on avait découvert un trésor…» Et on a envie de poser une forêt[14][14] Terme technique du jeu Magic dont vous découvrirez la signification en lisant la BD. avec lui.

Marcello Caiti, Cardmania, décembre 2023. ©DR / Scan : ZLR
Marcello Caiti, Cardmania, décembre 2023. ©DR / Scan : ZLR

Note de service : soutenez Bicoli!

Il y a quelques jours, la collective féministe et bibliothèque autogérée (avec plein de fanzines géniaux) Bicoli a lancé une campagne de financement participatif. Située dans un lieu privé que tu connaîtras en les contactant par message privé sur Instagram, la Bicoli-othèque propose des références pointues, publiées de façon traditionnelle ou pas, sur des sujets variés tels que la décolonisation, les luttes queers ou l’accessibilité des services aux personnes en situation de handicap. Tout ça en prêt libre pour un mois entier!

Des événements et des permanences sont organisés tout au long de l’année. C’est super mais aussi super-précaire, alors pour que ça continue, on s’abonne à leurs comptes, on partage le crowdfunding et, si on peut, on participe à la cagnotte.

Merci pour elles, merci pour la culture… et bonne année!


Dans la même série

Vous aimerez aussi