RECHERCHER SUR LA POINTE :

Chaque mois, Nicolas Baudoin vous invite à explorer plusieurs ouvrages édités qui échappent d’une façon ou d’une autre aux rouages de la traditionnelle chaîne du livre. Des littératures actuelles qui s’épanouissent loin des prés carrés.
épisode 9/9
9/9

Du spleen, du beauf & des super sayens: zines à foison pour la dernière (a)chronique

En chantier

épisode 9/9

Ça fait des lunes qu’on a plus vu passer d’achroniques[1][1] Pour rappel, «achronique» est un terme d’astrologique qui qualifie le lever d’un astre au-dessus de l’horizon, au moment où le soleil se couche, ou son coucher, au lever du soleil à l’horizon.. Faute de temps, d’argent, de bonne volonté peut-être, mais pas de productions intéressantes ni de microsalons florissants. Même sans sortir de Bruxelles[2][2] Depuis son lancement, l’achronique s’est baladée à Liège, Strasbourg, Angoulême ou Paris., il y avait de quoi se mettre sous la dent cette rentrée en fouinant dans les allées du BD Comic Strip Festival et de Bords perdus (6-8.9.2024), du Poetik Bazar (20-22.9.24) et de la Wiels Art Book Fair (5-6.10.24). Je vous propose de passer ça en revue pour la der des ders.

BD Comic Strip Festival

Guerre molle[3][3] Collectif Guerre Molle, Guerre Molle n°3, septembre 2024

Sous la cloche de la Gare Maritime, les gros bonnets ronronnant côtoient les petites maisons et les étudiant·es en art. Après la traversée d’une jungle de Marsupilamis coiffé des bonnets Schtroumpfs, on trouve par exemple le stand d’un collectif sorti de St Luc Liège[4][4] Ecole secondaire des arts, connue pour sa section bande dessinée dont l’un des membres me présente Guerre molle, un fanzine de bande dessinée animée par des copains de promo dont les parutions se poursuivent même après le diplôme.

Côme Klug signe l’édito du dernier numéro, sous les traits d’un personnage assez ignoble qui se lamentent sur la direction prise par le collectif: «Un an qu’ils sont sortis de Saint-Luc Liège et ils se prennent déjà pour des ‘auteurs’. ‘C’est le cinquième numéro, on arrête le pipi caca, on est trop devenus des bobos de merde en fait!’. Puis quoi? On va arrêter les blagues de cul et faire des fanzines expérimentaux risographiés à 30€?»

Cette sorte de mascotte récurrente vient rappeler la difficulté de concilier la spontanéité, l’amateurisme et le prix démocratique «des fanzines à l’ancienne» avec la volonté de faire «un objet magnifique» et de capitaliser sur sa valeur artistique. Pour le coup, Guerre molle choisit de ne pas choisir en proposant un fanzine avec rabat et intercalaire translucide, plusieurs types de papier, une belle interview de Sasha Goerg[5][5] Auteur de BD et d’illustration comptant parmi les fondateurs de la maison d’édition L’Employé du Moi et membre du comité de l’ABDIL – Auteurices de la Bande dessinée et de l’Illustration réuni·e·s, mais aussi des gags et des propositions scatologiques.

Après une brève discussion, je leur apprends qu’à deux pas de là le «off» du Festival bat son plein: le festival Bords perdus fait en effet de la résistance à La Vallée pour une deuxième édition. J’y passe moins de temps que prévu, mais j’ai quand même le temps de choper le très beau premier numéro de SarraZine, un zine qui a pour «leitmotiv de mettre en avant le talent, les histoires et les réflexions de femmes artistes dites “racisées”, métissées et/ou à l’héritage ambigu», qu’a lancé et cordonné Zazie Raxhon, alias raxie. Un deuxième numéro serait dans les tuyaux, donc stay tuned. In extremis, j’assiste aussi à la fin de la conversation entre Morgane Somville, Lucile Ourvouai et Romane Armand autour du fanzine Fanatic Female Frustration, une anthologie de BD en hommage à Aline Kominsky-Crumb annoncée dans l’achronique n°3.

Konstantos Alexandre, Fernandez Gilson Zoe, Licata Giacomo, Klug Come, Keuponof, Hinck Pierre, Genten Solenn, Guerre molle, septembre 2024 ©DR/Scan: ZLR
Konstantos Alexandre, Fernandez Gilson Zoe, Licata Giacomo, Klug Come, Keuponof, Hinck Pierre, Genten Solenn, Guerre molle, septembre 2024 ©DR/Scan: ZLR

PoetikBazar

183 lundis[6][6] Modesta, 183 lundis, Bruxelles, septembre 2024

Deux semaines plus tard, au Poetik Bazar, beaucoup s’étonnent d’assister à la déringardisation de la poésie par des artistes femmes, jeunes et prêtes à en découdre. La poésie avec ses codes bien particuliers – éloge de la rareté, petits tirages et beaux livres – s’entend par ailleurs plutôt bien avec l’édition hors-la-charte, au risque de se précariser.

«Pas de style que du spleen», promet la quatrième de couverture du premier livre de la collective Modesta. Anonyme car collectif, il rassemble 19 textes et d’autres fragments, collectionnés soigneusement au fil des 183 lundis où se sont réunis les membres de cette bande qui ont «un jour décidé qu’elles étaint artistes», ce qui les rend «super contentes».

Les poèmes ici ne se prennent pas au sérieux, sans pour autant être drôles. On y lit en filigranes un quotidien sans rien de grandiloquent, traversé d’émotions fortes, de rencontres et parfois de percées lyriques absurdes, à la faveur d’un exercice oulipéen:

tu entends
ma tristesse
qui mange une banane
avec la peau

Quelques tables plus loin, le dernier numéro de la revue photo-poétique Mouche accroche les sens. Au seuil de la lecture, un petit papier collé sur la première page nous invite à le sentir. Il dégage une odeur de parfum pour homme que je suis sûr d’avoir déjà reniflé. Message bien reçu, à décrypter. Message impossible à imprimer sur des presses industrielles.

Dans 183 lundis, dans Mouche, la surprise de tomber sur des poètes.ses qui écrivent et composent avec les références et la langue d’aujourd’hui : «tu t’sens dull c’est narmol»[7][7] Esther Haberland, Mister Specimen, «Putois|putain  d’automne|d’auto corps|correcteur Putain d’auto correct» [8][8] Adèle Oran, «à la fin de la journée/j’ai chialé avec lana del rey»[9][9] Hommage à lana.

Revue Mouche, mai 2024 ©DR/Scan: ZLR
Modesta, 183 lundis, septembre 2024 ©DR/Scan: ZLR

Foire du livre d’art du Wiels

DRAGON BALL[10][10] DRAGON BALL, Jules Depeyre 2021-2022

Pour conclure, j’aimerais vous parler d’une publication trouvée à la Foire du livre d’art du Wiels, événement pas si snob ni hors-sol qu’on pourrait le croire. Il s’agit du fanzine DRAGON BALL de Jules Depeyre, 8 ans au moment de la réalisation.

Le livre se sépare en deux parties: d’abord une retranscription d’un enregistrement de Jules qui résume la première saison de Dragon Ball Z avec passion et hésitation. Parmi les quelques approximations, on s’amusera de lire que Picolo vient de La Mecque plutôt que de la planète Namek, peut-être un clin d’œil inconscient à l’œuvre de SAMIR 34 Tyson Mike.

La deuxième partie présente les personnages de la série, reproduits en céramique par Jules. Une galerie de portraits partiellement fondu, carrément fun et réussie.

Ce livre qui a reçu le Prix du «fanzine le plus ouf de l’histoire des fanzines» en 2022 est un bel hommage au regretté Akira Toriyama, dessinateur génial disparu cette année. Il montre aussi que l’édition «hors-la-charte» permet à des enfants de concevoir des livres et de les publier, ouvrant ainsi grand le champ des possibles. Véritable bouffée d’air et machine à remonter le temps, DRAGON BALL est un cri de joie qui a la force d’un Kamé Hamé Ha.

Jules Depeyre, DRAGON BALL, 2022 (50 exemplaires) ©DR/Scan: ZLR
Jules Depeyre, DRAGON BALL, 2022 (50 exemplaires) ©DR/Scan: ZLR

L’aventure de l’achronique se clôture ici, après 8 épisodes bien remplis, de novembre 2023 à novembre 2024. Merci à Laurence, Karolina et Emilie d’avoir accepté et accompagné le projet. Merci à Zeste Le Reste pour les scans. Vive l’édition buissonière!


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