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©Yves Pezet

Lost in ballets russes

Émois

On est parfois un peu «lost» dans cette re-visitation en solo des ballets russes[1][1] Les ballets russes furent la compagnie de danse la plus influente du XXe siècle. Fondée par Serge de Diaghilev en 1907, elle vit se succéder plusieurs chorégraphes, comme Michel Fokine puis Nijinsky. Léon Bakst a contribué à rendre la compagnie célèbre par la création de costumes très colorés, qui amenaient une atmosphère singulière. Ses créations s’inspiraient aussi bien de l’Antiquité que de la miniature persane ou l’art populaire russe. Il eut une influence considérable et marqua les esprits, entre autres, de nombreux couturiers, comme Christian Lacroix, John Galliano, Karl Lagerfeld, ou encore Yves Saint-Laurent. que nous propose Lara Barsacq, artiste associée à Charleroi-danses et sélectionnée dans la programmation du théâtre des Doms lors du festival d’Avignon 2021. Perdues dans le fil narratif, dans la mise en scène et dans le texte qui est soit énoncé directement, soit diffusé par voix off ou encore projeté en fond de scène, en français et en anglais. Mais ce drôle de collage hétéroclite de saynètes qui alterne différentes formes de la mémoire – souvenirs, rituels, danse, art verbal et musique – nous incite à «nous souvenir» pour appréhender – on l’espère! – un avenir fertile, à l’image du thème qui traverse le Festival d’Avignon[2][2] «Se souvenir de l’avenir», Festival d’Avignon 2021..

Ce qu’on a surtout aimé, c’est l’évocation – l’incantation – de ce lien familial qui noue Lara à son arrière-grand-oncle: le peintre, décorateur et costumier des ballets russes Leon Bakst, et ses sublimes dessins que Lara expose sur l’avant-scène dans une sorte d’autel mémoriel, comme un rallye de dominos qui formerait une chaine dont chaque pièce serait un souvenir subjectif intrinsèquement lié à une histoire collective.

La présence d’une fougère sur scène, cette plante protectrice censée chasser la mélancolie dont la planète était entièrement recouverte il y a quelques millions d’années, nous rappelle l’importance des figures féminines qui ont jalonné le parcours de l’artiste, et surtout celle de son idole Ida Rubinstein, la sulfureuse vedette de la Belle Epoque dont le portrait trônait au-dessus de la table de la cuisine de son enfance. On retrouve cette dernière également dans l’évocation de la danse des sept voiles de Salomé, dont elle fut une mémorable interprète.

©Diego Andres Moscoso.

Mais c’est surtout la dernière partie qui restera gravée dans nos entrailles: sur le fond de scène est projetée une vidéo de Lara qui danse langoureusement sur une aire de parking désaffectée. En parallèle, on entend les voix de sa mère et de sa tante qui évoquent avec beaucoup de douceur le kaddish [3][3] Le kaddish, de l’hébreu קדיש, («sanctification»), est une prière de la religion juive, dont la plus connue est celle récitée lors des deuils ou des cérémonies de commémoration.. L’artiste revient ensuite sur scène entièrement nue, s’enroule dans des paillettes scintillantes, ceint sur son front une incroyable parure et se place en dansant au centre de la scène, arrosée par les lumières colorées du projecteur. La star, c’est elle aujourd’hui; habitée par son père, par son grand-oncle et par son idole, elle leur rend hommage tout en s’affirmant dans son chemin artistique personnel.

 «J’aime le frottement des époques» dit l’artiste. De ce frottement nait l’étincelle qui illumine une filiation transgénérationnelle attachante.

NB:

– Lara Barsacq a dansé notamment au sein de la Batsheva, des Ballets C de la B ou auprès de Jérôme Bel.

– Ce spectacle comporte un second volet, Ida don’t cry me love également présenté aux Doms pendant le festival d’Avignon 2021 et le 15 mars 2022 au Centre culturel d’Uccle et du 17 au 19 mars aux Brigittines .

Distribution:

Projet, texte, chorégraphie, dramaturgie, interprétation: Lara Barsacq
Aide à la dramaturgie: Clara Le Picard
Regard extérieur: Gaël Santisteva
Lumières: Kurt Lefevre
Costumes: Sofie Durnez
Musiques: Bauhaus, Claude Debussy et Maurice Ravel
Participation: Lydia Stock Brody et Nomi Stock Meskin

Le site de Lara Barsacq.

-> à écouter en lien: Franco Battiato – Prospettiva Nevskij.